Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/712

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— Pardonnez-moi, miss Murray, m’a-t-il dit : je vous ai aimée si vivement, je vous adore encore si profondément, que je ne voudrais pas volontiers vous offenser ; mais, quoique je n’aie jamais aimé et ne puisse jamais aimer une autre femme comme je vous aime, il est également certain que je ne fus jamais aussi maltraité par aucune. Au contraire, j’ai toujours trouvé votre sexe le plus doux, le plus tendre, le plus bienfaisant de la création, jusqu’à présent (quelle présomption !) ; et la nouveauté et la rudesse de la leçon que vous m’avez donnée aujourd’hui, l’amertume de me voir rebuté par celle dont le bonheur de ma vie dépendait, doivent excuser jusqu’à un certain point l’aspérité de mon langage. Si ma présence vous est désagréable, miss Murray, a-t-il dit (car je regardais autour de moi pour lui montrer combien peu je me souciais de lui, et il a pu penser qu’il m’ennuyait, je crois) ; si ma présence vous est désagréable, vous n’avez qu’à me faire la promesse que je vous ai demandée, et je vous quitte à l’instant. Nombre de ladies, même dans cette paroisse, seraient flattées d’accepter ce que vous venez de fouler si orgueilleusement sous vos pieds. Elles seraient naturellement disposées à haïr celle dont les charmes supérieurs ont si complètement captivé mon cœur et m’ont rendu aveugle pour leurs attraits ; un seul mot de moi à l’une d’elles suffirait pour faire éclater contre vous un orage de médisances qui nuirait sérieusement à vos espérances, et diminuerait fort vos chances de succès auprès de tout autre gentleman que vous ou votre mère pourriez avoir dessein d’empaumer. — Que voulez-vous dire, monsieur ? ai-je répondu, prête à trépigner de colère. — Je veux dire que cette affaire, du commencement à la fin, me paraît une manœuvre d’insigne coquetterie, pour ne rien dire de plus, manœuvre que vous ne devez pas beaucoup vous soucier de voir divulguée dans le monde ; surtout avec les additions et exagérations de vos rivales, qui seraient trop heureuses de publier cette aventure, si je leur en touchais seulement un mot. Mais je vous promets, foi de gentleman, que pas une parole, pas une syllabe qui pourrait tendre à votre préjudice, ne s’échappera jamais de mes lèvres, pourvu que vous… — Bien, bien, je n’en parlerai pas, ai-je répondu. Vous pouvez compter sur mon silence, si cela peut vous apporter quelque consolation. — Vous me le promettez ? — Oui, ai-je dit, car je désirais alors être débarrassée de lui. — Adieu donc, » a-t-il dit, du ton le plus dolent. Et, après un regard dans le-