Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/745

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décidé que ce serait là notre plan ; que ma mère s’occuperait des informations et des préparatifs, et que je retournerais après mes quatre semaines de vacances à Horton-Lodge, où je demeurerais jusqu’à ce que tout fût prêt pour ouvrir notre école.

Nous discutions ces affaires le matin dont j’ai parlé, environ quinze jours après la mort de mon père, quand une lettre fut apportée à ma mère. En jetant les yeux sur l’adresse, son visage, pâle de fatigue et de chagrin, se colora tout à coup. « De mon père ! » murmura-t-elle ; et elle déchira l’enveloppe. Il y avait bien des années qu’elle n’avait reçu aucune nouvelle de sa famille. Naturellement curieuse de savoir ce que pouvait contenir cette lettre, j’examinai sa contenance pendant qu’elle la lisait, et fus quelque peu surprise de la voir mordre sa lèvre et froncer le sourcil comme si elle était en colère. Quand elle en eut fini la lecture, elle la jeta brusquement sur la table, disant, avec un sourire de mépris :

« Votre grand-père a été assez bon pour m’écrire. Il me dit qu’il ne doute pas que je ne me sois depuis longtemps repentie de mon infortuné mariage, et que si je veux reconnaître cela et confesser que j’ai eu tort de mépriser ses conseils, et que j’ai justement souffert à cause de cela, il fera de nouveau de moi une lady, si c’est possible, après une longue dégradation, et se souviendra de mes filles dans son testament. Apportez-moi mon pupitre, Agnès, et débarrassez la table. Je veux répondre à cette lettre sur-le-champ. Mais d’abord, comme je peux vous priver toutes deux d’un héritage, il est juste que je vous dise ce que j’entends répondre. Je veux lui dire qu’il se trompe en supposant que je puisse regretter la naissance de mes filles, qui ont été l’orgueil de ma vie, et qui seront très-probablement le soutien et la consolation de mes vieux jours, ou les trente années que j’ai passées en la société de mon meilleur et de mon plus cher ami ; que nos malheurs, eussent-ils été trois fois plus grands, à moins que je n’en eusse été la cause, je ne m’en réjouirais que plus de les avoir partagés avec votre père, et de lui avoir apporté toute la consolation que je pouvais lui donner ; que ses souffrances, dans sa maladie, eussent-elles été dix fois plus grandes, je ne pourrais regretter d’avoir veillé sur lui et travaillé à les soulager ; que s’il eût épousé une femme riche, les malheurs et la maladie lui fussent tout aussi bien arrivés, mais que j’étais assez égoïste pour croire qu’aucune autre