Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/753

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veloppe, je m’apercevais que ce n’était qu’une lettre de Mary, dont, pour une raison ou pour une autre, son mari avait écrit l’adresse ?

En étais-je donc arrivée à ce point, d’être désappointée en recevant une lettre de ma propre sœur, et parce que cette lettre n’était pas écrite par un homme que, jusqu’à un certain point, je ne pouvais regarder que comme un étranger ? Chère Mary ! elle l’avait écrite avec tant d’affection, pensant que je serais heureuse de la recevoir ! Je n’étais pas digne de la lire ! Et je crois que, dans mon indignation contre moi-même, je l’aurais mise de côté, jusqu’à ce que je fusse revenue à un meilleur état d’esprit et que je me sentisse plus digne de l’honneur et du privilège d’en connaître le contenu. Mais ma mère était là, qui me regardait et désirait savoir les nouvelles que cette lettre contenait. Je la lisais donc et la lui donnais, puis j’allais dans l’école m’occuper des élèves ; mais en m’occupant des copies et des devoirs, pendant que je corrigeais des erreurs par-ci, des manquements à la discipline par-là, je me réprimandais intérieurement moi-même avec beaucoup plus de sévérité. « Quelle folle vous êtes ! me disais-je. Comment avez-vous pu rêver qu’il devait vous écrire ? Sur quoi fondez-vous une telle espérance ? Comment pouvez-vous croire qu’il cherche à vous voir, qu’il s’occupe de vous, qu’il pense à vous ? » Puis l’Espérance me montrait encore cette dernière et courte entrevue, et me répétait les paroles que j’avais si fidèlement conservées dans ma mémoire. « Eh bien ! qu’est-ce que cela signifie, et a-t-on jamais suspendu son espoir à une branche aussi fragile ? Y a-t-il là autre chose que ce que deux personnes qui se connaissent à peine peuvent se dire ? Il peut se faire, d’ailleurs, que vous vous rencontriez encore. Il aurait pu vous parler ainsi quand même vous auriez été sur le point de vous embarquer pour la Nouvelle-Zélande ; mais cela n’impliquait nullement l’intention de vous revoir. Quant à la question qui a suivi, le premier venu aurait pu vous la faire. Et comment avez-vous répondu ? Par un stupide lieu commun, comme vous auriez répondu à M. Murray ou à tout autre qui eût été dans des termes de vulgaire politesse avec vous. — Mais, continuait l’Espérance, le ton et l’expression de sa parole ? — Oh ! cela ne signifie rien ! Il parle toujours avec expression ; et, d’ailleurs, les Green et miss Mathilde étaient immédiatement devant vous ; d’autres personnes passaient à