Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/758

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lait avoir sa part, à quelque condition qu’elle lui fût offerte, quel que fût le prix mis au titre qu’elle ambitionnait, et quel que dût être son partner dans l’honneur et la félicité d’une telle possession !… Mais je ne suis pas disposée à la censure en ce moment.

Elle me reçut avec beaucoup de cordialité ; et, quoique je fusse la fille d’un pauvre ecclésiastique, une gouvernante, une maîtresse d’école, elle me fit avec un plaisir non affecté les honneurs de sa maison, et, ce qui me surprit davantage, se donna même quelque peine pour m’en rendre le séjour agréable. Je pourrais remarquer, il est vrai, qu’elle s’attendait à me voir grandement frappée de la magnificence qui l’environnait ; et, je le confesse, je fus un peu ennuyée des efforts qu’elle faisait pour que je ne fusse pas écrasée par tant de grandeur, que je ne fusse pas trop effrayée à l’idée de paraître devant son mari et sa belle-mère, et que je ne rougisse pas trop de mon humble situation. Je n’en rougissais nullement : car, quoique simplement vêtue, j’avais pris soin de n’être ni ridicule, ni basse, et j’aurais été assez à mon aise, si elle n’avait pris tant de peine pour m’y mettre. Pour ce qui était de la magnificence qui m’environnait, rien de ce que je vis ne me frappa moitié autant que ne le fit le changement qui s’était accompli en elle. Soit que ce fût la suite des dissipations et des fatigues de la vie du grand monde, soit de quelque autre mal, il avait suffi d’un peu plus d’une année pour opérer en elle un changement notable, et diminuer l’embonpoint de ses formes, la fraîcheur de son teint, la vivacité de ses mouvements et l’exubérance de sa gaieté.

J’aurais voulu savoir si elle était malheureuse, mais je sentis que ce n’était pas mon affaire de m’en enquérir. Je pouvais m’efforcer de gagner sa confiance ; mais, si elle jugeait convenable de me cacher ses peines de ménage, je ne la fatiguerais pas d’indiscrètes questions. Je me renfermai en conséquence dans quelques questions générales sur sa santé et son bonheur, quelques compliments sur la beauté du parc et sur la petite fille, qui aurait dû être un garçon, délicate petite enfant de sept à huit semaines, que sa mère paraissait regarder avec un intérêt et une affection qui n’avaient rien d’extraordinaires, quoique aussi vifs qu’on les pouvait attendre d’elle.

Un moment après mon arrivée, elle chargea sa femme de chambre de me conduire à ma chambre. C’était un petit appar-