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Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/77

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tenir. Néanmoins, telle est probablement ma destinée, car je me rappelle que notre mère révérée eut les mêmes tourments à endurer, quoiqu’elle eût le choix des serviteurs d’Anvers ; les domestiques, dans tous les pays, sont une engeance perverse et indisciplinée. »

Moore avait aussi certaines réminiscences touchant les tourments de sa mère révérée. Elle avait été pour lui une bonne mère, et il honorait sa mémoire ; mais il se rappelait qu’elle était dans sa cuisine, à Anvers, ce qu’était dans la sienne sa sœur dévouée en Angleterre. Il laissa donc tomber ce sujet, et, lorsque le service fut enlevé, il entreprit de consoler Hortense en lui apportant son livre de musique et sa guitare ; puis, lui ayant passé autour du cou le ruban de l’instrument, avec cette douce affection fraternelle qu’il savait toute-puissante à calmer ses plus noires humeurs, il la pria de lui redire une des chansons favorites de leur mère.

Rien n’épure comme l’affection. Les querelles de famille rendent vulgaire ; l’union élève. Hortense, contente de son frère, et reconnaissante envers lui, paraissait, s’accompagnant de la guitare, presque gracieuse, presque belle. Son air refrogné de chaque jour avait disparu et fait place à un sourire plein de bonté. Elle chanta avec sentiment les chansons que son frère lui avait demandées : elles lui rappelaient une mère qu’elle avait tendrement aimée ; elles la reportaient aux jours de sa jeunesse. Elle observait aussi que Caroline l’écoutait avec un naïf intérêt ; cela augmenta sa bonne humeur, et l’exclamation poussée par la jeune fille à la fin des chansons : « Que je voudrais pouvoir chanter et jouer comme Hortense ! » acheva l’œuvre et la rendit charmante pour toute la soirée.

Il est vrai qu’il s’ensuivit une petite leçon à Caroline sur la vanité des souhaits, et le devoir de faire des efforts. De même que Rome, lui fut-il dit, n’avait pas été bâtie en un jour, de même l’éducation de Mlle Gérard Moore n’avait pas été complétée en une semaine, et par le simple désir d’être habile. C’était l’effort qui avait accompli ce grand travail ; elle avait toujours été remarquable pour sa persévérance et sa facilité ; ses maîtres avaient coutume de répéter que c’était plaisir de rencontrer tant de talent uni à tant de solidité, et ainsi de suite. Une fois sur le thème de ses propres mérites, mademoiselle ne pouvait plus s’arrêter.

Bercée dans cette bienheureuse satisfaction d’elle-même, elle