Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/79

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une main habile sur votre cœur, et en fera vibrer les cordes. Votre cœur est une lyre, Robert ; mais votre lot n’a pas été de rencontrer un ménestrel capable de la faire résonner, et souvent elle demeure silencieuse. Laissez approcher le glorieux William, et vous verrez comme il tirera de ses cordes la force et la mélodie.

— Je dois lire Shakspeare ?

— Vous devez évoquer son esprit devant vous ; vous devez entendre sa voix avec l’oreille de votre intelligence ; vous devez faire passer quelque chose de son âme dans la vôtre.

— Dans le but de me rendre meilleur, il faut que Shakspeare produise sur moi l’effet d’un sermon ?

— Dans le but de vous remuer, de vous donner de nouvelles sensations ; pour vous faire sentir fortement la vie, non-seulement le côté vertueux de votre nature, mais aussi le côté vicieux et pervers.

— Dieu ! que dit-elle ? s’écria Hortense qui, jusque-là occupée à compter les mailles de son tricot, n’avait pas prêté beaucoup d’attention à la conversation, mais dont l’oreille venait d’être frappée par les deux derniers mots.

— Ne faites pas attention, ma sœur ; laissez-la parler ; laissez-lui dire ce soir tout ce qu’il lui plaira. Elle aime à tomber de temps à autre rudement sur votre frère ; cela m’amuse : laissez-la faire. »

Caroline qui, montée sur une chaise, avait bouleversé la bibliothèque, revint avec un livre.

« Voilà Shakspeare, dit-elle, et voilà Coriolan. Maintenant, lisez, et découvrez, par les sensations que cette lecture va éveiller en vous, combien vous êtes à la fois bas et élevé.

— Asseyez-vous à côté de moi, et corrigez-moi si je prononce mal.

— Je serai le maître, alors, et vous l’élève.

— Ainsi soit-il !

— Et Shakspeare est notre science, puisque nous allons étudier ?

— Il le paraît.

— Vous n’allez pas être Français, sceptique, moqueur ? Vous n’allez pas croire que le refus d’admiration est un signe de sagesse ?