Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/81

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scènes avaient pour lui un tout autre attrait, et vraiment elle les rendait avec un esprit qu’on n’eût point attendu d’elle, avec une vérité d’expression dont elle semblait douée sur-le-champ, et pour l’instant seulement. Il est bon de remarquer en passant que le caractère général de sa conversation, ce soir-là, sérieux et enjoué, grave ou gai, avait quelque chose d’inétudié, d’intuitif, de capricieux, qui, une fois passé, ne pouvait pas plus être reproduit que le rayon rapide d’un météore, la teinte d’une perle de rosée, la couleur ou la forme d’un nuage doré par le soleil couchant, la fugitive et brillante ondulation qui agite le cours d’un ruisseau.

Coriolan glorieux, Coriolan dans le malheur, Coriolan exilé, passèrent tour à tour devant ses yeux comme des ombres gigantesques. Devant la vision du banni, l’esprit de Moore parut faire une pause. Il se crut au foyer d’Aufidius face à face avec cette grandeur déchue, plus grande dans sa chute que dans sa prospérité ; il vit cette « figure effrayante, » ce « sombre visage qui semblait encore commander, » ce « noble vaisseau désemparé. » Moore sympathisait parfaitement avec la vengeance de Caïus Marcius ; il n’en était point scandalisé, et Caroline murmura de nouveau :

« Encore un sentiment de fraternité mal entendue. »

La marche sur Rome, les supplications de la mère, la longue résistance, le triomphe final du bien sur les mauvaises passions, qui doit avoir lieu dans toute noble nature, la rage d’Aufidius en présence de ce qu’il considère comme une faiblesse de son allié, la mort de Coriolan, la douleur de son grand ennemi, toutes ces scènes pleines de vérité et de force se succédèrent et emportèrent dans leur cours profond et rapide le cœur et l’âme du lecteur et de l’auditeur.

« Eh bien ! avez-vous senti Shakspeare ? demanda Caroline, environ dix minutes après qu’il eut fermé le livre.

— Je le crois.

— Avez-vous trouvé quelque analogie entre Coriolan et vous ?

— C’est possible.

— N’était-il pas rempli de défauts aussi bien qu’il était grand ?

Moore fit un signe de tête affirmatif.

« Et quels étaient ses défauts ? Pourquoi fut-il haï de ses concitoyens ? Pourquoi fut-il banni de son pays ?