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LES CORRECTEURS A L’ÉTRANGER
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Nombre d’ailleurs ont loué non seulement la beauté des types employés par Alde Manuce, mais aussi la pureté du texte. Dans une longue étude, M. Firmin-Didot s’inscrit vivement contre cette dernière idée : « J’ai fait voir… que l’édition du Théocrite d’Alde était remplie de fautes de toute espèce, qui ne pouvaient être réellement attribuées qu’à l’extrême négligence de l’imprimeur. J’ai dit que la collection intitulée Poetæ græci principes, de Henri Estienne, ne présentait pas autant de fautes, ni surtout de fautes aussi grandes qu’il s’en trouve dans trois ou quatre pages prises au hasard du Théocrite d’Alde… J’ai cherché quelle était l’excuse qu’on pourrait alléguer en faveur d’Alde au sujet de la négligence qui a été mise dans la correction au texte des livres qu’il a imprimés, et c’est lui-même qui me l’a donnée : il dit qu’il était tellement occupé qu’il trouvait à peine le temps de lire une fois, légèrement et à la course, les épreuves des éditions qu’il publiait : Vix credas quam sim occupatus ! Non habeo certe tempus, non modo corrigendis, ut cuperem, diligentius qui excusi emittuntur libris cura nostra, sed ne perlegendis quidem cursis. »

La critique est un peu acerbe ; le reproche n’est pas moins vif que rigoureuse la conclusion : « Ce fameux imprimeur, qui fait honneur à l’Italie, ne mérite pas la place à laquelle une admiration indiscrète tend à l’élever[1]. » Mais, tout à l’encontre même de l’affirmation de M. Firmin-Didot, certains peuvent tirer de l’aveu d’Alde Manuce la déduction qu’à son époque (1490-1514) — conséquemment bien avant Robert Estienne (1524-1559)[2] — on attachait une réelle importance à une irréprochable « correction des textes ». La preuve en est manifeste, puisque Alde Manuce se croit obligé de s’excuser d’une lecture hâtive, insuffisante ; et M. Firmin-Didot lui-même le reconnaît en soulignant comme un fait exceptionnel — souci dont il n’aurait pas eu occasion de se préoccuper si le manque de soins avait été de pratique courante — « la négligence qui a été mise dans la correction au texte des livres ». Il ne semble pas, d’ailleurs, que toutes les productions d’Alde Manuce aient été susceptibles des mêmes reproches : en 1503, en effet, l’imprimeur vénitien exprimait le chagrin[3] qu’il éprouvait

  1. Voir page 47.
  2. Années durant lesquelles Alde Manuce et Robert Estienne exercèrent respectivement la maîtrise d’imprimeur.
  3. Voir page 61.