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D. — Le correcteur jugé par comparaison avec ses collègues


Doit-on juger un correcteur en comparant ses corrections avec celles de ses collègues ?

Nullement.

Dans les Maisons où l’on compte plusieurs correcteurs, il arrive — le fait est assez rare, nous le concédons, mais il existe parfois — il arrive que certains veulent paraître plus forts que les autres. Souvent alors ce sont les plus médiocres qui réussissent, parce que plus roublards ou plus audacieux, à passer pour les plus experts.

Afin de s’assurer quelque supériorité sur leurs collègues, ils couvrent un bon à tirer de corrections : ponctuations modifiées sans nécessité, lettres empâtées ou à remplacer, capitales succédant à des bas de casse, etc.

Si l’esprit du patron n’est point prévenu, l’épreuve lui semblera sérieusement « épluchée ». Il estimera que cette lecture était non seulement utile, mais indispensable, qu’elle sauvegarde sa responsabilité.

Le prote jugera — et c’est là l’essentiel, cela seul à quoi l’intéressé visait, sciemment peut-être — que le correcteur est un correcteur modèle.

La conviction de l’alter ego sera encore plus complète, et son jugement plus ferme, si le correcteur est le correcteur chef[1].

  1. « L’audace, dit-on, tient souvent lieu de mérite, et, en chargeant les marges de cette épreuve de corrections qu’il serait bien en peine de justifier, le favori fascine l’œil du maître, entre les mains duquel elle peut passer, en même temps qu’il écrase ses collègues d’une supériorité dont on pourrait trouver le secret dans l’élasticité de la ponctuation, qui offre toujours une ressource à celui qui lit le dernier. Mais, à cet égard, je puis me montrer moins exclusif sans m’écarter de la vérité. Ce défaut, qui ne tend à rien moins qu’à altérer la pureté des textes en les couvrant d’irrégularités, à dénaturer même la pensée de l’auteur, ce défaut, dis-je, est malheureusement commun à trop de correcteurs (soit dit en passant et pour faire de suite la part de la critique que l’on peut tirer de ce sujet). En effet, ce qui a eu lieu à la tierce s’est souvent présenté à la seconde, et s’il fallait récapituler au bout d’une année tous les frais occasionnés par le seul fait de ces incertitudes, de ces petites rivalités d’amour-propre entre les correcteurs de certaines imprimeries, il en résulterait certainement un total dont la vue ne manquerait pas d’attirer l’attention du maître ou de celui qui le représente, et qui l’engagerait à intervenir d’une manière efficace dans les débats qui s’élèvent journellement au sein de cette petite république d’hommes plus ou