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LES MANUSCRITS
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peine lisibles pour les profanes, ainsi que le prouvent ceux qui nous sont parvenus.

Pour fixer la parole au courant de l’improvisation, pour recueillir intégralement les leçons ou les discours d’un Abélard ou d’un Thomas d’Aquin, les étudiants avaient pris l’habitude de l’écriture abréviative (sorte de sténographie rudimentaire). Des cahiers de classes l’usage des abréviations s’était étendu aux volumes scolaires, aux manuscrits destinés au commerce, puis aux livres ordinaires. L’usage des ligatures, d’un aspect fort décoratif pour l’écriture cursive, mais difficile à débrouiller — chaque auteur ayant sa ligature particulière — vint bientôt se joindre à celui des abréviations. Vers la fin du xive siècle, l’écriture tend à se resserrer, à s’amincir ; les caractères sont plus fins et, sauf dans les livres de luxe, l’usage de l’onciale est à peu près abandonné.

Tous les hommes instruits se plaignent alors de l’illisibilité des caractères, du nombre inusité des abréviations et de leurs variations incessantes, de l’écriture hâtive qui confond les lettres, les mots et les lignes, ainsi que des fautes et des erreurs qui déparent les manuscrits. C’est le déclin d’un âge, c’est le crépuscule d’une époque qui court, qui se précipite vers sa fin. Cependant, malgré sa hâte de disparaître, ce temps assistera à la naissance de l’invention la plus merveilleuse peut-être de l’esprit humain ; et cette invention, poussée par un intense désir de vie et de gloire, emportera, démodée et impuissante, la corporation des copistes et des enlumineurs.