Page:Brossard - Correcteur typographe, 1934.djvu/351

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Malheureusement, ces règles, ces prescriptions sont mal connues du compositeur dont l’instruction grammaticale et professionnelle est souvent insuffisante ; parfois aussi elles sont fort vagues, loin d’être générales, et sujettes à des interprétations fantaisistes. Rien d’étonnant dès lors « si la division des mots est une source d’indécisions fréquentes qui fait commettre erreur sur erreur » et entraîne « à des coupures baroques et sans raison, faisant perdre en corrections un temps appréciable ».

Les considérations qui suivent, et qui n’ont nullement la prétention de vouloir être nouvelles, cherchent à résumer autant que possible nos connaissances sur cette question de la division ; quelques-uns y trouveront, il faut l’espérer, l’occasion de s’instruire et d’augmenter dans une modeste part le bagage de leurs connaissances professionnelles.

De tout temps, la coupure des mots a été pratiquée : elle existe dans les inscriptions comme aussi sur les manuscrits de la plus haute antiquité, de concert avec l’abréviation, qui lui faisait concurrence. Dans le but de serrer leur texte, et peut-être aussi d’éviter à la fin de la ligne une coupure embarrassante, les sculpteurs et les copistes ne se gênaient pas, en effet, pour supprimer une, deux ou trois lettres et même certaines syllabes d’un nom connu, d’un mot courant, fréquemment usité et revenant à maintes reprises au cours de la conversation ou du discours[1]. L’ellipse, sous ses diverses formes de l’aphérèse (lettre ou syllabe supprimée au début d’un mot ; exemple actuel : mie pour amie), de la syncope (suppression à l’intérieur du mot : gaïté pour gaieté), de l’apocope (retranchement à la fin : encor pour encore), est une des figures de grammaire dont on retrouve le plus d’exemples dans les anciens manuscrits : son usage était constant ; il devait dès lors paraître tout naturel. Les lettres, consonnes et voyelles, sur lesquelles portaient le plus fréquemment ces abréviations, dont on retrouve encore de nombreux exemples, suscitant pour leur reproduction des difficultés parfois fort gênantes dans les imprimeries dont l’outillage n’a pas été pourvu abondamment de ce côté, sont :

  , pour am, an,   ,q3, pour mm  
, pour cm, cn, ,qq3 pour nn
, pour om, on, ,qq3 pour par, per
, pour um, un, , pour que

Si l’on ajoute que les lignes de texte, manuscrites ou gravées alors comme aujourd’hui, n’étaient point tenues entre elles à une uniformité constante, à une longueur rigoureuse ; que le graveur et l’artiste avaient toute liberté pour la plus heureuse disposition de leur texte (lignes courtes, longues, au milieu ; mots espacés, etc.) ; que la plume, le ciseau ou le style pouvaient librement prolonger ou resserrer certains traits, certaines lettres, on voit quelle facilité ces abréviations apportaient pour éviter la coupure d’un nom et terminer la ligne par un mot entier. Cependant, à examiner, même superficiellement, quelques

  1. On sait que ces abréviations, ces suppressions constituent, pour les savants modernes qui se sont voués à la tâche ingrate et ardue de déchiffrer les inscriptions antiques, la source des plus grandes difficultés et la cause de divergences d’appréciation et de lecture nombreuses.