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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1934.djvu/612

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43. Une autre licence, rarement autorisée, mais que l’on rencontre cependant, est le non-accord du participe passé (accompagné de l’auxiliaire avoir) avec le nom ou pronom qui le précède :

Vous faire le récit de toutes les misères
Que durant notre enfance ont enduré nos pères.

44. L’orthographe elle-même (cette austère déesse si chère aux correcteurs !) n’est point, on le voit, à l’abri du caprice poétique. C’est ainsi encore que (dédaignant d’avoir recours à l’apostrophe) La Fontaine ne craint pas d’écrire :

C’étaient deux vrais tartufs, deux archipatelins,
Deux francs pattes-pelus, qui, des frais du voyage…

45. Au reste, nos anciens poètes, tels Ronsard, Malherbe, Régnier, etc., faisaient un fréquent usage de l’élision, non seulement quand l’e muet était précédé d’une voyelle, mais aussi d’une consonne :

Passant, je te suppli’ d’arrêter pour entendre…
Quitte-moi, je te pri’, je ne veux plus de toi…
xxxxxxxxA vu’ d’œil mon teint jaunissait…

On trouve fréquemment devant une consonne : jeunesscell’, ell’, hontmill’, pour celle, elle, etc.[1].

L’élision ne se bornait point exclusivement à la voyelle e ; elle affectait la plupart des voyelles et même parfois certaines syllabes : les poètes du moyen âge, de la Renaissance et même du siècle de Louis XIV écrivaient volontiers m’amie, m’amour, s’amour, s’elle, pour mon amour, mon amie, son amour, si elle :

Caquet bon bec, m’amie, adieu ! je n’ai que faire,


dit La Fontaine.

Après avoir usé de l’élision, nos chansonniers et poètes légers actuels en abusent, au point de n’être plus compréhensibles parfois.

  1. On ne saurait rapprocher cette élision de celle du mot grand, dans les noms composés où il figure : à grand’peine, grand’mère, grand’messe, grand’rue… — À notre différence, le vieux français, dès le xie siècle, disait et écrivait : mère grand, chère grand (où l’on ne peut trouver la place d’une élision ni d’une apostrophe) ; une foule d’adjectifs, même placés devant un nom féminin, s’employaient de la sorte d’une manière invariable, gentil femme, naturel franchise, coutume cruel, une plaine vert, à l’exemple du latin où les adjectifs gentilis (gentil), naturalis (naturel), grandis (grand), crudelis (cruel), viridis (vert), n’ont qu’une terminaison pour les deux genres. — Au xvie siècle, les grammairiens crurent que grand était une abréviation de grande et, transposant l’adjectif (grand mère, grand rue, grand peine), ils lui adjoignirent une apostrophe (grand’mère) pour indiquer la suppression d’un e muet qui, en réalité, n’avait jamais existé.