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désertera son corps, et qu’il lui faudra quitter ce monde, je brûlerai le livre de ses péchés (10)[1], et je ne le tourmenterai d’aucun supplice au jour du jugement (11)[2] ; mais il traversera la mer de feu, et il la franchira sans douleur et sans obstacle ; tel ne sera point le sort de tout homme avide et dur qui n’accomplira pas ce que j’ai prescrit. Et celui auquel il naîtra un fils, et qui lui donnera le nom de Joseph, n’aura point de part à l’indigence, ni à la mort qui ne finit point. »


CHAPITRE XXVII.


Les principaux habitants de la ville se réunirent ensuite dans le lieu où était placé le corps du saint vieillard Joseph. Et, apportant avec eux des bandes d’étoffes, ils voulurent l’envelopper selon l’usage répandu parmi les Juifs. Mais ils trouvèrent que son linceul tenait à son corps si fortement que, lorsqu’ils cherchèrent à l’enlever, il resta sans pouvoir être déplacé, et il avait la dureté du fer, et ils ne purent trouver en ce linceul aucune couture qui en indiquât les extrémités ; ce qui les remplit d’un grand étonnement. Enfin, ils le portèrent auprès de la caverne, et ils ouvrirent la porte afin de placer son corps avec ceux de ses pères (12)[3]. Alors il me revint à l’esprit le jour où il cheminait avec moi vers l’Égypte, et je songeai à toutes les peines qu’il avait supportées à cause de moi, et je pleurai sa mort beaucoup de temps. Et, me penchant sur son corps, je dis :


CHAPITRE XXVIII.


« Ô mort qui fais évanouir toute science et qui ex-

  1. Ce livre, dans lequel sont écrits les péchés des homme, est une tradition rabbinique et musulmane. Il sera apporté au jour du jugement et compulsé par l’ange Gabriel, à ce qu’assurent les commentateurs du Coran. Ce serait une recherche curieuse, mais qui nous entraînerait trop loin, d’examiner quelles ont été les images sous lesquelles l’art chrétien a représenté l’âme. La plupart des Pères l’ont regardée comme une substance complètement incorporelle, et cependant quelques docteurs lui attribuaient volontiers une forme. Le vulgaire lui donna toujours un corps. Dans une foule de bas-reliefs, de peintures, elle est représentée sous l’aspect d’une petite figure humaine, et les hagiographes abondent en récits relatifs à des bienheureux dont on voit l’âme monter au ciel. Parfois elle s’envole sous la forme d’une colombe.
    In figure de colomb volat a ciel,


    dit un cantique roman. Voir Prudence, hymne ix, et les passages des Acta sanctorum, qu’indique M. E. du Meril. (Poésies populaires latines du moyen-âge, p. 319).

    Quant aux soins que prend l’archange Michel de l’âme de Joseph, nous remarquerons que l’auteur de l’Évangile que nous traduisons s’est conformé à des traditions répandues de son temps. « Les rabbins (dit M. Alfred Maury, Revue archéologique, t. i, p. 105), admettaient que saint Michel présente à Dieu les âmes des justes. (Voir Targum, in Cantic. IV, 12, et Resbith Chochmach, c. 3), et les Juifs lisent encore dans la prière pour les morts, appelée Tsiddouk Haddin, c’est-à-dire justification du jugement : L’archange Michel ouvrira les portes du sanctuaire, il offrira ton âme en sacrifice devant Dieu. L’ange libérateur sera de compagnie avec lui jusqu’aux portes de l’empire où est Israël. »

  2. Le jour du jugement est aussi appelé par les écrivains Arabes, le jour de la rémunération, le jour de la discrétion, le jour de la séparation, le jour de la pondération, le jour de la vengeance. Il doit durer mille ans et même cinquante mille, selon quelques traditions musulmanes. Il existe un ouvrage fort singulier du père Hyacinthe Lefebure, intitulé : Traité du Jugement dernier, ou Procez criminel des réprouvez, accusez, jugés et condamnez de Dieu, selon les formalitez de la justice, contenant l’ordre et la forme de procéder, juger et condamner en matière criminelle, selon les lois divines, canoniques et civiles. (Paris, 1671, 4o) M. Alfred Maury dans ses Recherches sur l’origine des représentations figurées de la psychostasie, (Revue archéologique, t. i, p. 248), a donné une idée fort exacte de ce livre étrange dédié au chancelier de France, Pierre Séguier. « L’auteur décrit minutieusement toutes les formes du jugement dernier, tout comme il l’eût fait dans un traité de procédure criminelle. Les différentes phases du jugement sont ponctuellement suivies depuis la dénonciation, l’audition des accusateurs des parties plaignantes, jusqu’à la citation, l’information, la consultation. On y trouve tout, l’emprisonnement des réprouvés, l’interrogatoire, le récolement et la confrontation des témoins, l’extrait du procès criminel fait par les rapporteurs, la liste des juges qui composent le tribunal ; en un mot, le père Hyacinthe Lefebure s’est attaché à nous initier aux plus légers détails de ce jugement terrible. »
  3. Les Hébreux plaçaient les corps des défunts dans des cavernes et dans des caveaux taillés dans le roc et que fermaient des portes d’une confection très-soignée. Consultez à cet égard les curieuses planches du savant ouvrage de J. Nicolaï (Leyde, 1706, 4o) de sepulchris Hebræorum.