Page:Brunet - Le mariage blanc d'Armandine, contes, 1943.djvu/126

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repère et de baromètre. Les cheveux en broussaille, une barbe de la semaine passée, il paraît relever toujours de quelque maladie, et ses yeux étranges le font ressembler à ses patients. La bouche veuve de trois dents, qui font un trou noir lorsqu’il retrousse ses lèvres charnues, il parle avec un petit sifflement, et son sourire n’est pas fin. Un drôle de bonhomme.

Et une drôle de vie. Je vous la donne comme on me l’a contée. Ses études de médecine à peine terminées, Duprat fit des voyages. Il avait réussi à s’engager comme médecin de bord, et, à chaque escale, protégé par le démon de la bougeotte, il changeait de bateau et de route, faisant, accomplissant ainsi le tour du monde, je ne sais combien de fois : on a de drôles de types en Laurentie, et la jeunesse conformiste ne le sait pas. Dans ses loisirs, il jouait du pinceau. Duprat avait-il du talent ? Je ne m’y connais guère, et à peine ai-je vu deux ou trois des esquisses que ses amis gardent de lui : ne lui parlez jamais de peinture, c’est un sujet interdit. Il s’est rangé et embourgeoisé pour toujours. Il croit que ses fous sont sa seule fantaisie désormais. Vous verrez qu’il ne se connaît pas.