Page:Brunet - Le mariage blanc d'Armandine, contes, 1943.djvu/145

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Arthur s’installa au comptoir de l’épicerie, et il y passa vingt ans. Ces vingt années, il les passa en vérité derrière le comptoir, puisqu’il ouvrait à 5 heures 30 et fermait à minuit. Il vendait du gin à la mesure, et, aux connaissances sûres, le whisky au verre. À peu près pas de crédit, du cash presque toujours. Un homme aussi avisé que Arthur ne prit pas de temps à mettre de l’argent de côté. Il s’était établi un budget, et, lorsque les recettes dépassaient telle somme, il en distrayait les trois quarts pour prêter chez les notaires sur première, et le reste, à la petite semaine, ce qui était aisé, les voisins d’Arthur étant toujours à court d’argent. L’usurier pouvait contrôler facilement, et il ne risquait pas de se faire rouler, puisque, le jour de la paye, ces grands enfants, Irlandais pour la plupart, venaient l’entamer chez lui. Quand ce n’était pas le mari, la femme se montrait, soit pour les provisions, soit pour les bouteilles de bière dont elle se faisait cadeau, le samedi.

Arthur Pesant s’était aménagé une chambre dans l’appentis derrière le magasin. C’est là qu’il gardait ses vêtements et, surtout, ses livres. Ses livres : entendez les grands cahiers où s’alignaient en colonnes minutieuses ses comptes