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ÉTUDES CRITIQUES

s’en défendent ou qui s’en moquent le plus, — s’il en est un qui ne trompe guère, c’est de les juger sur ce qu’elles contiennent d’intérêt universellement et éternellement humain. A très peu de chose près, les sentiments ont dans l’art le degré d’importance, et conséquemment d’intérêt, qu’ils ont dans la vie même ou dans l’histoire de l’humanité. Tel est le pouvoir du lieu commun. On ne nous émeut point pour des rois d’Arménie qui ont passé sans laisser de traces, et dont les aventures n’ont d’autre raison d’être mises à la scène que de leur être autrefois arrivées. Ou plutôt encore, sans le savoir, sans le sentir, solidaires que nous sommes de tous ceux qui nous ont précédés, comme de ceux qui nous suivront, une œuvre d’art n*est qu’un tour de force ou d’adresse, à moins qu’elle ne soit une pure opération financière, toutes les fois qu’elle n’exprime pas quelque chose de cette solidarité.

C’est ce que les contemporains ont admiré, c’est ce que nous applaudissons encore dd.ns Zaïre. Le cas est humain. Il est fréquent, il est ordinaire et presque quotidien, de nous trouver pris, comme Zaïre elle-même, entre nos passions et notre conscience. Elle aimeOrosmane, et elle sait, elle apprend, nous apprenons, et nous sentons comme elle qu’elle ne peut être à lui

… sans renier son père,
Son honneur qui lui parle et son Dieu qui l’éclairé.

La fille de Lusignan pourrait-elle oublier qu’Orosmane, après l’avoir vaincu, a été pendant vingt ans le geôlier de son père ? Osera-t-elle sacrifier, comme