Page:Brunetière - Cinq lettres sur Ernest Renan, 1904.djvu/101

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« Les républicains de 1793 l’eussent certainement envoyé à la guillotine, comme André Chénier et Lavoisier. »

C’est le Renan des dilettantes et des « intellectuels », un Renan pour gens et femmes du monde, un Renan de « salons », tout « parfumé » d’aristocratisme et de « religiosité », le Renan dont il est facile de tracer, au moyen d’« extraits » de ses œuvres, une image assez ressemblante, ou du moins qui le serait, si la contraire ne l’était tout autant… et même davantage[1].

Il faut en finir avec cette équivoque ! On trou-

  1. je n’ai pas dit dans ce passage exactement ce que je voulais dire.

    Je n’ai pas nié, puisque j’ai consacré ma Quatrième Lettre à le dire, que Renan fût d’instinct et de goût un aristocrate : sa conception de l’histoire est là pour le prouver. Mais Voltaire aussi fut un aristocrate, ou même un « conservateur » — conservateur en tout, a-t-on justement dit, sauf en religion — et cela n’empêche pas — la preuve, je pense, en est faite après cent vingt-cinq ans — qu’il soit Voltaire ; et que nos modernes jacobins le réclament à bon droit comme un de leurs ancêtres ou de leurs prophètes ; et que les « conservateurs » d’aucune espèce n’aient le moindre intérêt à le revendiquer. Pareillement Renan ! Nous ne lui devons, comme à Voltaire, que de l’admirer pour son grand talent. Mais, de le tirer, pour ainsi dire, à nous, comme on a fâché de le faire, ce serait une grave imprudence, et de le tenter seulement, ce n’a pas été, du moins à mon avis, une petite maladresse. Les ennemis de nos ennemis ne sont pas toujours nos amis, ni même toujours un secours pour nous. Timeo Danaos… Je me défie de Renan, même quand il est de mon opinion. Et j’essaye d’en dire la grande raison dans les dernières pages de la présente Lettre.