Page:Brunetière - Cinq lettres sur Ernest Renan, 1904.djvu/65

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On se rappelait que l’opuscule de Renan sur sa Sœur Henriette, où il affirmait plus énergiquement que jamais sa foi dans la « réalité supérieure du monde idéal », était contemporain, ou à peu près, de la phrase devenue quasi proverbiale de Taine sur le vice et la vertu « qui ne sont que des produits comme le vitriol et le sucre ».

On essayait de mesurer le chemin parcouru.

Et on s’apercevait que, tandis que la pensée de Taine, de jour en jour plus maîtresse d’elle-même, s’était élevée pour ainsi dire avec l’objet de ses méditations, au contraire, celle de Renan, lui échappant de jour en jour, s’était abaissée comme insensiblement au niveau, nous ne pouvions plus dire de celle de Déranger, mais du pharmacien Homais. O misère ! ce lévite s’égayait maintenant lui-même d’être « un curé raté » ! Et, de cette évolution contradictoire, ou inverse, des deux grands écrivains rivaux, quand on cherchait la raison, on la trouvait dans cette observation que, décidément, la pensée ne se suffit pas à elle seule ; qu’elle a besoin, pour se soutenir, d’un autre support qu’elle-même ; et que, quand il lui manque, elle tombe de plus ou moins haut, mais elle tombe toujours !