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THÉORIE DU LIEU COMMUN.

qu’il semble, plus usé ? Là-bas, dans l’empire du Milieu, sur les bords d’un fleuve jaune ou bleu, le poète chinois l’a soupiré. Le soleil continuant de briller, l’eau de courir, l’herbe de pousser, les arbres de verdir… quoi encore ? car il n’est pas de rhétoricien qui ne pût prolonger l’énumération plusieurs pages durant, et vous reconnaissez la phraséologie même des romances d’opéra-comique ! Cependant donnez-vous le plaisir de relire le Lac, de Lamartine, puis reprenez alors la Tristesse d’Olympio, et joignez-y, pour finir, le Souvenir, d’Alfred de Musset. Je vous défie bien d’y trouver autre chose que ce thème si banal ; et je vous défie bien de n’y pas discerner, au courant d’un même développement, trois inspirations personnelles, originales, aussi différentes qu’il se puisse. C’est la même chose ; et pourtant rien ne se ressemble moins. Et ce qui soutient, ce qui porte ici les trois poètes, ce qui leur permet de s’élever si haut que deux au moins d’entre eux, Lamartine et Musset, ont pu s’égaler eux-mêmes plus d’une fois, mais jamais peut-être se surpasser, c’est l’universalité du sentiment qu’ils expriment. Ils sont dans le lieu commun ; et c’est parce qu’ils y sont qu’ils trouvent de tels accents. Êtes-vous curieux, là-dessus, de faire la contre-épreuve et de mesurer ce que peut, en poésie, l’horreur du lieu commun. Lisez alors Charles Baudelaire et tâchez un peu de comprendre les Fleurs du mal.

Autre exemple maintenant. Car, en y réfléchissant, nous n’avions pas assez de confiance tout à l’heure