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Page:Brunetière - L’Évolution de la poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, t2, 1906.djvu/166

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L’ÉVOLUTION DE LA POÉSIE LYRIQUE

Et tu renais aussi, fantôme diaphane,
Qui fis battre son cœur pour la première fois,
Et, fleur cueillie avant que le soleil le fane,
Ne parfumas qu’un jour l’ombre calme des bois !

Ô chère Vision, toi qui répands encore,
De la plage lointaine où tu dors à jamais,
Comme un mélancolique et doux reflet d’aurore,
Au fond d’un cœur obscur et glacé désormais !

Les ans n’ont pas pesé sur ta grâce immortelle,
La tombe bienheureuse a sauvé ta beauté ;
Il te revoit, avec tes yeux divins, et telle
Que tu lui souriais en un monde enchanté !


Mais je m’empresse d’ajouter que, si vous comparez ces vers à telle pièce de Musset, d’Hugo, de Lamartine même, que nous avons lues ici de compagnie : le Lac, la Tristesse d’Olympio, le Souvenir, et qui ne sont en effet qu’autant de variations sur un même thème, vous verrez poindre une première différence. Personnels assurément et aussi personnels que possible au poète, colorés et comme dorés du soleil de son île natale, imprégnés de ses parfums puissants, ni le Manchy, ni l’Illusion suprême, ni la Fontaine aux lianes ne sont toutefois ce que j’appellerais des poèmes de chair et de sang, et je veux dire que le souvenir y est comme épuré par la distance ou par le temps de tout ce qui jadis a pu s’y mêler de physique. On ne sent point là palpiter l’égoïste regret des voluptés perdues. Le charme pénétrant de la vision est fait de son inconsistance, et de sa « diaphanéité » même. C’est de la « sensibilité » ou de la « sensualité », si