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Page:Brunetière - L’Évolution de la poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, t2, 1906.djvu/193

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M. LECONTE DE LISLE

chose, non pas du tout de froid, — je crois vous avoir montré le contraire, — mais d’un peu dur : j’entends par là de trop arrêté, de trop précis dans son contour, qui ne laisse pas assez de place à la liberté ou au vagabondage de l’imagination du lecteur. Gâtés aujourd’hui que nous sommes par la musique, nous aimons que le poète nous permette aussi de rêver ; qu’il nous laisse non pas à deviner, mais à continuer, mais à prolonger quelque chose ; qu’il ne nous donne, en un mot, qu’un thème ou une vague indication à développer. Ce n’est pas, vous l’avez vu, la manière de M. Leconte de Lisle, et si jamais poète a refusé ce genre de plaisir à ses lecteurs, c’est bien lui.

Ne peut-on pas noter aussi quelque excès d’érudition dans son œuvre, trop de noms « barbares », trop de noms grecs, orthographiés de façon trop savante ? Gautier disait à ce propos : « M. Leconte de Lisle a rejeté la terminologie latine adaptée aux noms grecs, on ne sait trop pourquoi, ce qui enlève à ces mots si beaux en eux-mêmes une partie de leur sonorité et de leur couleur ». Je suis tout à fait ici de l’opinion de Gautier. Mais je ne la partage pas moins quand il ajoute : « Peut-être M. Leconte de Lisle pousse-t-il la logique de son système trop loin lorsqu’il appelle les Parques les Moires ; les Destinées, les Kères ; et le Ciel, Ouranos. » Ces singularités, qui attirent l’œil, gênent la lecture, il faut en convenir ; et même, serait-il impossible qu’elles l’eussent parfois découragée ?

Enfin, Messieurs, dans son ensemble ou dans quelques-unes au moins de ses parties, cette poésie n’est-