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MADAME DE STAËL ET CHATEAUBRIAND.
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On aura beau bâtir des temples bien élégants, bien éclairés, pour rassembler le bon peuple de saint Louis et lai taire adorer un Dieu métaphysique, il regrettera toujours ces Notre Dame de Reims et de Paris, toutes ces basiliques moussues, toutes remplies des générations des décédés et des âmes de ses pères…

On ne pouvait entrer dans une église gothique sans éprouver une sorte de frissonnement, et un sentiment vague de la divinité. On se trouvait tout d’un coup reporté à ces temps où des cénobites, après avoir médité dans les bois de leurs monastères, se venaient prosterner à l’autel, et chanter les louanges du Seigneur dans le calme et le silence de la nuit. L’ancienne France semblait revivre, on croyait voir ces costumes singuliers, ce peuple si différent de ce qu’il est aujourd’hui ; on se rappelait, et les révolutions de ce peuple, et ses travaux, et ses arts…

Grâce à lui, ce moyen âge qui n’avait jusqu’alors été, non seulement pour les « philosophes » du xviiie siècle, mais aussi pour les écrivains du xviie et du xvie, qu’une région confuse et qu’un temps indistinct d’erreur et d’ignorance, redevenait une partie de l’histoire nationale, et vous savez, pour le dire en passant, si le romantisme en allait abuser.

Et c’est encore Chateaubriand, sur les traces de Bernardin de Saint-Pierre et de Rousseau, dont le style prestigieux a fait de la description de la nature extérieure, mouvante et colorée, l’âme d’une poésie nouvelle. Après la distinction des époques et l’art de la traduire, c’est lui qui nous a enseigné la différence des lieux, en même temps qu’il nous apprenait les moyens de la rendre. Que peut-être un excès de couleur et d’exotisme s’y mêle ; qu’il y ait trop de « micocouliers » dans son œuvre, et aussi trop de « rose », trop de « bleu », trop de « vert » ; que, comme tous