Aller au contenu

Page:Brunetière - Nouveaux essais sur la littérature contemporaine, 1897.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Ils s’en venaient de la montagne et de la plaine,
Du fond des sombres bois et du désert sans fin,
Plus massifs que le cèdre et plus haut que le pin,
Suants, échevelés, soufflant leur rude haleine,
Avec leur bouche épaisse, et pleins de faim.

C’est ainsi qu’ils rentraient, l’ours velu des cavernes
À l’épaule, ou le cerf, ou le lion sanglant,
Et les femmes marchaient géantes, d’un pas lent
Sous les vases d’airain qu’emplit l’eau des citernes.
Graves, et les bras nus, et les mains sur le flanc…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Les ânes de Khamos, les vaches aux mamelles
Pesantes, les boucs noirs, les taureaux vagabonds,
Se balaient sous l’épieu, par files et par bonds.
Et de grands chiens mordaient les jarrets des chamelles
EL les portes criaient en tournant sur leurs gonds.


Il n’y a pas dans ces beaux vers un mot, pas un détail dans ce tableau, qui ne concoure à fixer quelque trait des âges préhistoriques ; il n’y en a pas un qui soit de l’invention du poète ; et c’est tout le contraire de la Conscience ou du Caïn d’Hugo, Les Poèmes barbares sont à la Légende des siècles ce que la Madame Bovary de Flaubert, par exemple, est à la Valentine ou à l’Indiana de George Sand ; ou encore, dans un autre ordre d’idées, ce que les Origines de la France contemporaine de Taine sont aux Girondins de Lamartine ou à la Révolution de Michelet. Comme l’historien et comme le romancier, le poète, abdiquant sa personnalité, s’est efforcé de ressaisir la vérité des choses, et, s’entourant pour cela de tous les renseignements que pouvait lui fournir l’érudition de son temps, il a commencé par faire vraiment œuvre