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Page:Brunetière - Nouveaux essais sur la littérature contemporaine, 1897.djvu/190

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La blanche illusion, l’espérance éphémère.
En s’envolant au ciel l’ont-elles vu fermé ?


ce poète n’est pas un impassible, ni un insensible ; et j’ai déjà cité quelques vers de Qaïn ; mais lequel de ses glorieux émules a jamais rien écrit de plus largement humain que cette seule strophe de la Mort de l’Homme ?


Salut ! ô noirs rochers, cavernes où sommeille
Dans l’immobile nuit tout ce qui me fut cher.
Hébron ! muet témoin de mon exil amer,
Lieux déserts ! où veillant l’inexprimable veille,
La femme a pleuré mort le meilleur de sa chair !


On n’est pas impassible, — je crois l’avoir dit, mais je le répète, — pour n’avoir pas voulu prendre l’univers à témoin de ses amours trahies, ce qui est d’ailleurs une indiscrétion et même une lâcheté, puisqu’enfîn nos amours ne nous appartiennent jamais à nous seuls. On n’est pas insensible pour n’avoir voulu prêter sa voix qu’à la douleur ou à l’angoisse communes, au lieu de consacrer son génie à l’élégie de sa propre souffrance. Mais la vérité vraie, c’est que le romantisme avait prostitué la signification du mot même de sensibilité. C’en était l’exagération, et presque la caricature, qu’il en avait donnée comme l’expression fidèle. Nous avons dû, contre lui, la rétablir dans la simplicité de sa définition ; l’étendre loin au delà de la circonférence d’égoïsme où l’avaient comme enfermée les plus illustres des romantiques et si quelques esprits superficiels ont pu croire qu’en