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Page:Brunetière - Questions de critique, 1897.djvu/22

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QUESTIONS DE CRITIQUE

On connaît l’île des Papimanes, et le chapitre intitulé : « Comment par la vertu des Décrétales est l’Or subtilement tiré de France en Rome. » Mais aucun éditeur n’a cru devoir observer qu’au temps même où Rabelais composait ce chapitre, on publiait à son de trompe, dans les carrefours de Paris, un édit qui défendait, « sur peine de la vie, et de la confiscation des biens, à qui que ce fut, de porter aucun argent, pour quelque raison que ce fut, ni à Rome ni en d’autres lieux de la dépendance du pape ». Et, à la vérité, quelques jours auparavant, on en avait, par compensation, publié un aussi contre les hérétiques. Mais, de ce côté-là aussi, Rabelais s’était mis en règle, si je puis ainsi dire, par une déclaration de guerre aux « démoniacles Calvins, imposteurs de Genève ».

De telle sorte que sa plus grande hardiesse aurait donc consisté, dans son quatrième livre, à dire également contre les protestants et contre Rome ce qui pouvait être le plus agréable à la cour de France, le plus conforme aux intentions du maître, et le plus propre à en aider enfin la réalisation. Mais il y a mieux encore. Et si l’on considère que le Parlement ayant fait défense à l’imprimeur « de vendre et exposer le livre », le roi, sur la simple requête de l’auteur, leva l’interdiction, on est tenté de se demander si Rabelais n’écrivait pas « par ordre » ; — ou à tout le moins si son audace même n’était pas une forme de courtisanerie. On voit qu’en tous cas, elle