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Séduisante au premier abord, comme toutes celles qui ont pour fondement la liberté, cette proposition ne soutient cependant pas un examen attentif. Mettons qu’un arrêté, un décret, si l’on veut, soit rendu en ce sens. Quelle influence aura-t-il sur les livres et les journaux ? Aucune, évidemment. L’enseignement du maître se désintéressera désormais de l’orthographe, voilà qui va bien. Mais les livres scolaires ne seront-ils pas des professeurs muets d’orthographe ? Et l’enfant n’étant plus conseillé, n’ayant, pour lui montrer à écrire, que ces modèles d’une complication où il ne saura rien démêler, ne s’appliquera-t-il pas encore à les imiter ? S’il ne le fait pas, qu’il s’en écarte, par paresse, par mépris, ou pour toute autre cause, qui dit qu’il simplifiera ?

Il aura sous les yeux de beaux chevaux, ignorant absolument pourquoi beaux et pourquoi chevaux, est-il sûr qu’il ira vers le plus facile, et qui vous répond que, pour faire l’unification, il ne mettra pas un e à cheveaux, comme à écheveaux ? C’est bien quelque chose d’analogue que nous propose aujourd’hui l’Académie. Pour simplifier charrue et chariot, elle écrira charriot. Pourquoi dès lors ces idées saugrenues ne viendraient-elles pas aussi aux enfants ?

Ce n’est pas là une hypothèse. L’orthographe des gens qui n’ont pas appris l’orthographe prouve ce que j’avance. Elle n’est nullement simple. N’apercevant clairement qu’une chose, dans les écrits qu’ils ont sous les yeux, à savoir qu’il y a dans les mots une foule de lettres qui ne se prononcent pas, pour s’approcher de ce type, ils en ajoutent : s’ils se souviennent de mangea, ils