chocs et des tourbillons, Démocrite se donne le moyen de rendre compte de la formation des corps, si variée qu’en soit la configuration, si vaste qu’en soit l’étendue, si serrée qu’en soit la contexture. Mais ces corps, produits d’une agglomération, sont quelconques. S’ils ne sont pas fortuits par rapport aux éléments qui les composent et dont la réunion les fait ce qu’ils sont[1], ils doivent être considérés comme fortuits par rapport à l’harmonie et à la finalité du tout qu’ils composent. Or, les diverses techniques pratiques et spéculatives auxquelles les Grecs se sont consacrés de préférence, depuis la sculpture et l’architecture, la gymnastique et la médecine, jusqu’à la musique et l’astronomie, la politique même, se sont toutes orientées vers la considération d’une certaine forme harmonieuse, grâce à laquelle l’être composé sera autre chose que le résultat d’une juxtaposition de parties, grâce à laquelle il offrira dans sa totalité une vérité esthétique de proportion ou de rythme. C’est ainsi, dit Aristote, qu’une cité doit avoir un certain coefficient de grandeur ; car il y a pour les cités une mesure de grandeur comme pour toute espèce de choses : animaux, plantes,[2]. Or, le problème de l’ordre harmonique dans les différents domaines de l’univers ne nous paraît sans doute plus insoluble, aujourd’hui que nous avons appris à « diviser les difficultés », à isoler les questions relatives à l’univers physique, sans y faire intervenir ce qui se passe dans la vie, dans l’humanité, et que, d’autre part, la science newtonienne nous a permis de comprendre la régularité esthétique des mouvements célestes comme une résultante de lois purement mécaniques. Mais l’atomisme de Démocrite n’avait pas de telles ressources à sa disposition. Aussi, lorsqu’il insistait, comme toutes les autres écoles de la philosophie hellénique, sur l’existence d’un cosmos et d’un diacosmos[3] ; il soulignait lui-même le contraste entre la complexité des problèmes qu’il avait à résoudre et la simplicité schématique des notions qu’il avait posées comme base de l’explication rationnelle. Il rendait inévitable le discrédit du système au profit de doctrines qui, demeurant davantage à la superficie des choses, semblaient du moins en mieux exprimer les caractéristiques apparentes.
- ↑ Sur l’affirmation de la nécessité dans l’atomisme de Démocrite, nous trouvons des témoignages chez Stobée, Ecl., I, 160, et chez Sextus, adv. Math., IX, 113.
- ↑ De an. II, 4, 416 a 8 : τῶν δὲ φύσει συνισταμένων πάντων ἔστι πέρας καὶ λόγος μεγέθους τε καὶ αὐξήσεως Cf. de Gen. anim. II, 6, 745 a 5 ; et Polit. IV, 4, 1326 a 35 : ἔστι τι καὶ πόλεως μεγέθους μέτρον, ὥσπερ καὶ τῶν ἄλλων πάντων, ζῴων φυτῶν ὀργάνων·
- ↑ Cf. Rivaud, op. cit., p. 172-173.