seulement les substances nous sont entièrement inconnues, comme vous le remarquez fort bien, Monsieur, mais même il est impossible à qui que ce soit de les connaître ; et Dieu même, si leur nature est telle qu’ils disent, n’y connaîtrait rien. Tout ce qu’ils peuvent dire à cela, avec quelque espèce de raison, sera que Dieu les fait agir ainsi par miracle, ou agit plutôt pour eux. Ainsi il faut revenir à la Philosophie Mosaïque de Robertus Fluddus, que M. Gassendi a traitée comme il faut dans un ouvrage exprès[1]. Et comme M. Roberval avait déjà dit dans son Aristarque que les planètes s’attiraient (ce qu’il a peut-être entendu comme il faut), M. Descartes, le prenant dans le sens de nos nouveaux Philosophes, le raille fort bien dans une lettre au P. Mersenne[2]. »
113. — Ainsi, suivant Leibniz, on doit choisir d’être cartésien ou newtonien, et il choisit d’être cartésien. Seulement ce choix, devant la génération à laquelle appartient un Voltaire, fait apparaître Leibniz comme un de ces vieillards qui n’aiment dans le cartésianisme que le souvenir de leur jeunesse, qui s’attendrissent encore, pour reprendre l’expression même de Leibniz (G. IV, 302), au « beau roman de physique », dont jadis leur imagination s’est exaltée. Entre les tourbillons et la gravitation, les faits ont prononcé ; ils nous contraignent à exclure l’hypothèse des uns, à reconnaître la vérité de l’autre. Et ce n’est pas assez dire. Par delà les faits eux-mêmes, ce qui est en jeu, c’est la souveraineté des faits pour l’établissement de la science. Descartes subordonne, au besoin il sacrifie, la réalité de la nature à l’idée préconçue qui est nécessaire à l’unité du système ; Newton ne connaît d’autre condition pour l’affirmation scientifique que la stricte conformité aux données de l’expérience. « Selon Descartes, écrit Voltaire, la lumière ne vient point à nos yeux du soleil ; mais c’est une matière globuleuse répandue partout, que le soleil pousse, et qui presse nos yeux comme un bâton poussé par un bout
- ↑ Examen philosophiæ Roberti Fluddi medici, apud Œuvres. Ed. 1658 : t. III, 217-268.
- ↑ T. III, 580. La lettre de Descartes à laquelle Leibniz fait allusion est du 20 avril 1646. Ed. Adam-Tannery, t. IV, p. 401 : « Denique absurdissimum est quod addit, singulis partibus materiæ mundana inesse quandam proprietatem, vi cuius ad se invicem ferantur, et reciproce attrahant ; itemque singulis partibus materire terrestris similem inesse proprietatem, respectu aliarum partium terrestrium, quæ priorem non impediat. Nam ad hoc intelligendum necesse est, non modo supponere singulas materiæ particulas esse animatas, et quidem pluribus animabus diversis, quæ se mutuo non impediant, sed etiam istas earum animas esse cogitativas, et plane divinas, ut possint cognoscere quid fiat in illis locis longe a se distantibus, sine ullo internuntio, et ibi etiam vires suas exercere. »