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CHAPITRE II


LE DÉFI DE HUME


7. — Les textes que nous venons de recueillir mettent en lumière la précision, la richesse, la profondeur, que Malebranche avait apportées dans la critique de la causalité naturelle. Cependant cette critique, qui, pour un lecteur de Hume et de Maine de Biran, se détache d’une façon si facile et si frappante, devait apparaître aux contemporains, non comme ayant une valeur par elle-même, mais comme liée à un système très particulier, dont il semblait qu’elle partageât la destinée.

Malebranche est un théologien. Soucieux de réagir contre la scolastique par un retour à l’inspiration rigoureuse du monothéisme, il concentre en Dieu cette dignité de la causalité qu’il a retirée aux créatures : « Il n’y a donc qu’un seul vrai Dieu, et qu’une seule cause qui soit véritablement cause, et l’on ne doit pas s’imaginer que ce qui précède un effet en soit la véritable cause. » (Recherche, VI, 8.) C’est, d’autre part, un mathématicien. Il connaît le monde des idées (c’est-à-dire, bien entendu, non des concepts extraits du sensible, mais des relations intelligibles) où règne un mode de liaison qui ne doit rien à la juxtaposition des perceptions dans le temps, qui se justifie par son évidence intrinsèque. Ce n’est pas tout : partant à la fois de la théologie et de la mathématique, Malebranche découvre une région moyenne où il est permis de suppléer à la causalité proprement dite par la causalité occasionnelle. La volonté de Dieu, expression d’une sagesse infinie, est nécessairement générale. Elle fait qu’un mouvement ayant telle mesure et telle détermination est toujours suivi d’un autre mouvement ayant telle mesure et telle détermination, et que la loi de cette succession revêt une forme qui permet l’application du calcul. La communication des mouvements peut donc donner lieu à un savoir, qui ne sera pas purement mathématique, car il ne se déduira pas d’un pur raisonnement abstrait, mais qui, d’autre part, tout en s’appuyant sur l’observation, ne saurait prétendre à con-