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DE LA NOTION D’ACTIVITÉ INTELLECTUELLE

le concept d’un acte volontaire n’est pas un acte volontaire. Une telle connaissance est indirecte, et par suite imparfaite. Ainsi, sans nier en quoi que ce soit la réalité de la douleur ou de la volonté, il faut soutenir que leur étude ne peut être la partie fondamentale et primitive de la philosophie, parce que la méthode analytique de la philosophie n’est pas adaptée à de tels objets. La philosophie procède par concepts ; or un concept n’enferme intégralement qu’un autre concept. L’intelligence n’est transparente qu’à l’intelligence ; la seule certitude peut être objet de certitude. Toute doctrine par conséquent qui présenterait une faculté non représentative, le sentiment ou la volonté, comme supérieure à la représentation et comme indépendante d’elle, sera une doctrine non philosophique. Elle pourra exprimer une grande vérité religieuse ; elle pourra avoir une grande efficacité morale ; mais elle ne sera pas susceptible de justification rationnelle, et elle sera reléguée à bon droit parmi les doctrines qualifiées de sentimentales, de mystiques, ou de tout autre nom qui en marque le caractère irrationnel.

Ce n’est pas tout. Puisque cette étude doit être une étude philosophique, il faut qu’elle satisfasse à une seconde condition. En effet, dans toute étude d’ordre scientifique, l’esprit qui connaît et l’objet qui est à connaître sont en présence l’un de l’autre, tous deux supposés fixes et immuables. Si l’esprit de l’observateur était altéré par l’observation même, si la loi des phénomènes pouvait être modifiée au cours de l’expérience, il n’y aurait plus de place pour une vérité scientifique. Aussi l’étude de la connaissance, quand elle veut procéder d’une façon scientifique, doit-elle se donner à elle-même un objet qui puisse être mis en quelque sorte à l’abri de toute modification survenant au cours même de l’observation et due au caprice de l’observateur ; par exemple, elle enferme la pensée dans le langage qui, par hypothèse au moins, l’enveloppe et la moule exactement ; c’est à travers les formes du langage qu’elle étudie les lois de la pensée, et ainsi c’est à bon droit qu’une telle science peut prétendre à l’objectivité. Mais, à cause de cette objectivité même, cette science n’épuise pas la connaissance de la connaissance. Elle repose, en effet, sur un postulat, parce qu’elle est une science et que toute science implique ce postulat nullement négligeable qui est le savant. Or le savant peut, et doit, s’étudier lui-même. Alors il met en question ce qui était le postulat de la science, c’est-à-dire qu’il franchit les limites de la science pour essayer d’atteindre à la réflexion philosophique. Au regard de cette réflexion, l’analyse