Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/220

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alors un vent tout contraire ; là il se fait un conflit affreux, ils sont poussés par derrière et repoussés par devant, ce qui produit des tourbillons horribles, soit sur les hautes montagnes dont je parle, soit dans la vallée de la Table, où ces nuages voudraient se précipiter. Lorsque le vent de nord-ouest a cédé le champ de bataille, celui de sud-est augmente et continue de souffler avec plus ou moins de violence pendant son semestre ; il se renforce pendant que le nuage de l’Œil-de-bœuf est épais, parce que les particules qui viennent s’y amasser par derrière s’efforcent d’avancer ; il diminue lorsqu’il est moins épais, parce qu’alors moins de particules pressent par derrière ; il baisse entièrement lorsque le nuage ne paraît plus, parce qu’il n’y vient plus de l’est de nouvelles particules, ou qu’il n’en arrive pas assez ; le nuage enfin ne se dissipe point, ou plutôt paraît toujours à peu près de même grosseur, parce que de nouvelles matières remplacent par derrière celles qui se dissipent par devant.

» Toutes ces circonstances du phénomène conduisent à une hypothèse qui en explique bien toutes les parties : 1o Derrière la montagne de la Table on remarque une espèce de sentier ou une traînée de légers brouillards blancs, qui, commençant sur la descente orientale de cette montagne, aboutit à la mer et occupe dans son étendue les montagnes de Pierre. Je me suis très souvent occupé à contempler cette traînée qui, suivant moi, était causée par le passage rapide des particules dont je parle, depuis les montagnes de Pierre jusqu’à celle de la Table.

» Ces particules, que je suppose, doivent être extrêmement embarrassées dans leur marche par les fréquents chocs et contre-chocs causés non seulement par les montagnes, mais encore par les vents de sud et d’est qui règnent aux lieux circonvoisins du cap ; c’est ici ma seconde observation ; j’ai déjà parlé des deux montagnes qui sont situées sur les pointes de la baie Falzo ou fausse baie : l’une s’appelle la Lèvre-Pendante et l’autre Norvège. Lorsque les particules que je conçois sont poussées sur ces montagnes par les vents d’est, elles en sont repoussées par les vents de sud, ce qui les porte sur les montagnes voisines ; elles y sont arrêtées pendant quelque temps et y paraissent en nuages, comme elles le faisaient sur les deux montagnes de la baie Falzo et même un peu davantage. Ces nuages sont souvent fort épais sur la Hollande hottentote, sur les montagnes de Stellenbosch, de Drakenstein et de Pierre ; mais surtout sur la montagne de la Table et sur celle du Diable.

» Enfin, ce qui confirme mon opinion est que constamment deux ou trois jours avant que les vents de sud-est soufflent, on aperçoit sur la Tête-du-Lion de petits nuages noirs qui la couvrent ; ces nuages sont, suivant moi, composés des particules dont j’ai parlé ; si le vent de nord-ouest règne encore lorsqu’elles arrivent, elles sont arrêtées dans leur course, mais elles ne sont jamais chassées fort loin jusqu’à ce que le vent de sud-est commence. »

Les premiers navigateurs qui ont approché du cap de Bonne-Espérance ignoraient les effets de ces nuages funestes, qui semblent se former lentement, tranquillement et sans aucun mouvement sensible dans l’air, et qui tout d’un coup lancent la tempête et causent un orage qui précipite les vaisseaux dans le fond de la mer, surtout lorsque les voiles sont déployées. Dans la terre de Natal, il se forme aussi un petit nuage semblable à l’Œil-de-bœuf du cap de Bonne-Espérance, et de ce nuage il sort un vent terrible et qui produit les mêmes effets ; dans la mer qui est entre l’Afrique et l’Amérique, surtout sous l’équateur et dans les parties voisines de l’équateur, il s’élève très souvent de ces espèces de tempêtes ; près de la côte de Guinée, il se fait quelquefois trois ou quatre de ces orages en un jour ; ils sont causés et annoncés, comme ceux du cap de Bonne-Espérance, par de petits nuages noirs ; le reste du ciel est serein et la mer tranquille. Le premier coup de vent qui sort de ces nuages est furieux, et ferait périr les vaisseaux en pleine mer, si l’on ne prenait pas auparavant la précaution de caler les voiles ; c’est principalement aux