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avec ces coquilles, dont on trouve les bancs immédiatement au-dessous de la terre végétale ; nous pouvons rapporter ici ce qui est dit dans les Nouveaux Voyages aux îles de l’Amérique. « La chaux que l’on trouve par toute la grande terre de la Guadeloupe, quand on fouille dans la terre, est de même espèce que celle que l’on pêche à la mer ; il est difficile d’en rendre raison. Serait-il possible que toute l’étendue du terrain qui compose cette île ne fût, dans les siècles passés, qu’un haut-fond rempli de plantes de chaux, qui, ayant beaucoup crû et rempli les vides qui étaient entre elles occupés par l’eau, ont enfin haussé le terrain et obligé l’eau à se retirer et à laisser à sec toute la superficie ? Cette conjecture, tout extraordinaire qu’elle paraît d’abord, n’a pourtant rien d’impossible, et deviendra même assez vraisemblable à ceux qui l’examineront sans prévention ; car enfin, en suivant le commencement de ma supposition, ces plantes ayant crû et rempli tout l’espace que l’eau occupait se sont enfin étouffées l’une l’autre ; les parties supérieures se sont réduites en poussière et en terre, les oiseaux y ont laissé tomber les graines de quelques arbres qui ont germé et produit ceux que nous y voyons, et la nature y en fait germer d’autres qui ne sont pas d’une espèce commune aux autres endroits, comme les bois marbrés et violets, et il ne serait pas indigne de la curiosité des gens qui y demeurent de faire fouiller en différents endroits pour connaître quel en est le sol, jusqu’à quelle profondeur on trouve cette pierre à chaux, en quelle situation elle est répandue sous l’épaisseur de la terre, et autres circonstances qui pourraient ruiner ou fortifier ma conjecture. »

Il y a quelques terrains qui tantôt sont couverts d’eau, et tantôt sont découverts, comme plusieurs îles en Norvège, en Écosse, aux Maldives, au golfe de Cambaye, etc. La mer Baltique a gagné peu à peu une grande partie de la Poméranie, elle a couvert et ruiné le fameux port de Vineta : de même, la mer de Norvège a formé plusieurs petites îles, et s’est avancée dans le continent ; la mer d’Allemagne s’est avancée en Hollande auprès de Catt, en sorte que les ruines d’une ancienne citadelle des Romains, qui était autrefois sur la côte, sont actuellement fort avant dans la mer. Les marais de l’île d’Ély en Angleterre, la Crau en Provence, sont au contraire, comme nous l’avons dit, des terrains que la mer a abandonnés. Les dunes ont été formées par des vents de mer qui ont jeté sur le rivage et accumulé des terres, des sables, des coquillages, etc. Par exemple, sur les côtes occidentales de France, d’Espagne et d’Afrique, il règne des vents d’ouest durables et violents, qui poussent avec impétuosité les eaux vers le rivage, sur lequel il s’est formé des dunes dans quelques endroits ; de même les vents de l’est, lorsqu’ils durent longtemps, chassent si fort les eaux des côtes de la Syrie et de la Phénicie, que les chaînes de rochers qui sont couvertes d’eau pendant les vents d’ouest, demeurent alors à sec : au reste, les dunes ne sont pas composées de pierres et de marbres, comme les montagnes qui se sont formées dans le fond de la mer, parce qu’elles n’ont pas été assez longtemps dans l’eau. Nous ferons voir dans le Discours sur les minéraux que la pétrification s’opère au fond de la mer, et que les pierres qui se forment dans la terre sont bien différentes de celles qui se sont formées dans la mer.

Comme je mettais la dernière main à ce Traité de la théorie de la terre, que j’ai composé en 1744, j’ai reçu, de la part de M. Barrère, sa Dissertation sur l’origine des pierres figurées, et j’ai été charmé de me trouver d’accord avec cet habile naturaliste au sujet de la formation des dunes et du séjour que la mer a fait autrefois sur la terre que nous habitons ; il rapporte plusieurs changements arrivés aux côtes de la mer. Aigues-Mortes, qui est actuellement à plus d’une lieue et demie de la mer, était un port du temps de saint Louis ; Psalmodi était une île en 810, et aujourd’hui il est dans la terre ferme à plus de deux lieues de la mer ; il en est de même de Maguelone la plus grande partie du vignoble d’Agde était, il y a quarante ans, couverte par les eaux de la mer ; et, en Espagne, la mer s’est retirée considérablement depuis peu de Blanes, de Badalona,