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vers l’embouchure de la rivière Vobregat, vers le cap de Tortosa, le long des côtes de Valence, etc.

La mer peut former des collines et élever des montagnes de plusieurs façons différentes, d’abord par des transports de terre, de vase, de coquilles d’un lieu à un autre, soit par son mouvement naturel de flux et de reflux, soit par l’agitation des eaux causée par les vents ; en second lieu, par des sédiments des parties impalpables qu’elle aura détachées des côtes et de son fond, et qu’elle pourra transporter et déposer à des distances considérables, et enfin par des sables, des coquilles, de la vase et des terres que les vents de mer poussent souvent contre les côtes, ce qui produit des dunes et des collines que les eaux abandonnent peu à peu, et qui deviennent des parties du continent. Nous en avons un exemple dans nos dunes de Flandre et dans celles de Hollande, qui ne sont que des collines composées de sable et de coquilles que des vents de mer ont poussées vers la terre. M. Barrère en cite un autre exemple qui m’a paru mériter de trouver place ici : « L’eau de la mer, par son mouvement, détache de son sein une infinité de plantes, de coquillages, de vase, de sable, que les vagues poussent continuellement vers les bords, et que les vents impétueux de mer aident à pousser encore ; or tous ces différents corps ajoutés au premier atterrissement y forment plusieurs nouvelles couches ou monceaux qui ne peuvent servir qu’à accroître le lit de la terre, à l’élever, à former des dunes, des collines, par des sables, des terres, des pierres amoncelées, en un mot à éloigner davantage le bassin de la mer et à former un nouveau continent.

» Il est visible que des alluvions ou des atterrissements successifs ont été faits par le même mécanisme depuis plusieurs siècles, c’est-à-dire par des dépositions réitérées de différentes matières, atterrissements qui ne sont pas de pure convenance ; j’en trouve les preuves dans la nature même, c’est-à-dire dans différents lits de coquilles fossiles et d’autres productions marines qu’on remarque dans le Roussillon, auprès du village de Nafflac, éloigné de la mer d’environ sept ou huit lieues : ces lits de coquilles, qui sont inclinés de l’ouest à l’est sous différents angles, sont séparés les uns des autres par des bancs de sable et de terre, tantôt d’un pied et demi, tantôt de deux à trois pieds d’épaisseur ; ils sont comme saupoudrés de sel lorsque le temps est sec, et forment ensemble des coteaux de la hauteur de plus de vingt-cinq à trente toises ; or une longue chaîne de coteaux si élevés n’a pu se former qu’à la longue, à différentes reprises et par la succession des temps, ce qui pourrait être aussi un effet du déluge ou du bouleversement universel, qui a dû tout confondre, mais qui cependant n’aura pas donné une forme réglée à ces différentes couches de coquilles fossiles qui auraient dû être assemblées sans aucun ordre. »

Je pense sur cela comme M. Barrère ; seulement je ne regarde pas les atterrissements comme la seule manière dont les montagnes ont été formées, et je crois pouvoir assurer au contraire que la plupart des éminences que nous voyons à la surface de la terre ont été formées dans la mer même, et cela pour plusieurs raisons qui m’ont toujours paru convaincantes : premièrement, parce qu’elles ont entre elles cette correspondance d’angles saillants et rentrants, qui suppose nécessairement la cause que nous avons assignée, c’est-à-dire le mouvement des courants de la mer ; en second lieu, parce que les dunes et les collines qui se forment des matières que la mer amène sur ses bords ne sont pas composées de marbres et de pierres dures, comme les collines ordinaires ; les coquilles n’y sont ordinairement que fossiles, au lieu que dans les autres montagnes la pétrification est entière ; d’ailleurs les bancs de coquilles, les couches de terre ne sont pas aussi horizontales dans les dunes que dans les collines composées de marbre et de pierre dure ; ces bancs y sont plus ou moins inclinés, comme dans les collines de Nafflac, au lieu que dans les collines et dans les montagnes qui se sont formées sous les eaux par les sédiments de la mer, les couches sont toujours parallèles et très souvent horizontales ; les