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très différents les uns des autres en longueur, en largeur, en rapidité et en direction, ce qui ne peut venir que des inégalités des collines, des montagnes et des vallées qui sont au fond de la mer, comme l’on voit qu’entre deux îles le courant suit la direction des côtes aussi bien qu’entre les bancs de sable, les écueils et les hauts-fonds. On doit donc regarder les collines et les montagnes du fond de la mer comme les bords qui contiennent et qui dirigent les courants, et dès lors un courant est un fleuve dont la largeur est déterminée par celle de la vallée dans laquelle il coule, dont la rapidité dépend de la force qui le produit, combinée avec le plus ou moins de largeur de l’intervalle par où il doit passer, et enfin dont la direction est tracée par la position des collines et des inégalités entre lesquelles il doit prendre son cours. »

C’est à ces courants ou, pour me servir de son expression fort juste, à ces « fleuves » de la mer que Buffon attribue la formation des vallées de nos chaînes de montagnes.

Le lecteur n’a pas oublié ce que nous avons dit plus haut au sujet de la façon dont Buffon expliquait la formation des montagnes : il supposait que toutes les montagnes et les collines qui hérissent notre globe avaient été formées par l’œuvre des mers, par dépôts de sédiments entraînés par les courants. Il suppose que les courants ont ensuite creusé les montagnes comme un ruisseau creuse le sol de la prairie dans laquelle il rampe, en y décrivant des sinuosités. C’est ainsi qu’il explique le fait indéniable de l’emboîtement des angles des montagnes de chaque côté des vallées étroites. « On voit, dit-il[1], en jetant les yeux sur les ruisseaux, les rivières et toutes les eaux courantes, que les bords qui les contiennent forment toujours des angles alternativement opposés ; de sorte que, quand un fleuve fait un coude, l’un des bords du fleuve forme d’un côté une avance ou un angle rentrant dans les terres, et l’autre bord forme au contraire une pointe ou un angle saillant hors des terres, et que dans toutes les sinuosités de leur cours cette correspondance des angles alternativement opposés se trouve toujours ; elle est en effet fondée sur les lois du mouvement des eaux et l’égalité de l’action des fluides, et il nous serait facile de démontrer la cause de cet effet, mais il nous suffit ici qu’il soit général et universellement reconnu, et que tout le monde puisse s’assurer par ses yeux que toutes les fois que le bord d’une rivière fait une avance dans les terres, que je suppose à main gauche, l’autre bord fait au contraire une avance hors des terres à main droite.

» Dès lors les courants de la mer, qu’on doit regarder comme de grands fleuves ou des eaux courantes, sujettes aux mêmes lois que les fleuves de la terre, formeront de même dans l’étendue de leur cours plusieurs sinuosités dont les avances ou les angles seront rentrants d’un côté et saillants de

  1. Histoire et théorie de la terre, p. 187.