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Formation d’alluvions dans les lacs. Des dépôts semblables se forment dans le fond de presque tous les lacs. On sait qu’elle importance ont les sédiments déposés par le Rhône dans le lac de Genève. L’étendue du lac sur laquelle se forment les dépôts de matériaux arrachés par le Rhône et ses affluents aux montagnes n’a pas moins de 3 200 mètres de long ; d’après les calculs les mieux faits, on peut admettre que l’épaisseur des dépôts effectués depuis huit siècles seulement n’est pas moindre de 180 à 270 mètres. La ville de Port-Valais, qui est aujourd’hui située à 2 500 mètres du lac, était, il y a seulement huit siècles, située sur ses rives. L’espace de terre qui la sépare du lac a-été comblé par le Rhône depuis huit cents ans. Si l’on réfléchit que le Rhône à sa sortie du lac de Genève est très limpide, tandis qu’à son entrée il est chargée de limon, on ne pourra pas se dispenser d’admettre que tôt ou tard, les choses étant livrées à elles-mêmes, il finira par combler le lac de Genève, comme il est manifeste que lui-même et ses affluents ont déjà comblé une série de bassins situés le long de leur trajet, au-dessus du lac de Genève. Parmi les exemples de lacs comblés lentement par les matériaux que leur apportent des rivières, nous devons encore citer le lac le plus vaste du monde, celui que les géologues ont désigné sous le nom de lac Supérieur, dans le Canada. Les cours d’eau qui l’alimentent sont au nombre de plusieurs centaines ; ils y charrient une énorme quantité de blocs de roches granitiques et trappéennes, de sable, de gravier, dont la plus grande partie se dépose sur le fond du lac. Malgré son étendue, qui est presque égale à la surface de l’Angleterre, et sa profondeur, qui atteint jusqu’à 400 mètres, ce vaste bassin d’eau douce est fatalement condamné à être comblé dans un avenir plus ou moins éloigné. Déjà son fond est tapissé d’une couche épaisse de limon argileux contenant des coquilles d’espèces actuelles et ressemblant à tous les égards à celui qui forme le fond des bassins lacustres de l’époque tertiaire qu’on trouve dans le centre de la France.

Formation d’alluvions dans la mer et dans les fleuves. On peut rapprocher de ces phénomènes, ceux qui sont en voie de se produire dans quelques mers intérieures, comme l’Adriatique, la Méditerranée, etc. Les deltas du Pô et de l’Adige sont des exemples classiques d’actions édificatrices de l’eau. On compte par centaines les étangs, les lacs, les marais, qui ont été remplis par leurs sédiments depuis les époques historiques. Ces deux fleuves comblent leurs lits avec tant de rapidité et ont une tendance si grande à en changer qu’on a été contraint de les endiguer dans des rives artificielles. Mais les lits que leur ont fait les hommes s’envasent avec encore plus de rapidité que les lits naturels, parce que les eaux ne débordant plus, ne peuvent pas rejeter dans les plaines les sédiments qu’elles transportent ; il faut donc sans cesse élever les rives à mesure que le fond du fleuve s’élève. À Ferrare, le niveau actuel du Pô est plus élevé que le toit des maisons. Cependant, la majeure partie des sédiments de ces fleuves et de leurs affluents est transportée dans l’Adriatique, où ils se déposent