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de notre planète une série de « changements de terres en mers et de mers en terres. » Tandis que telle portion du globe se soulève, comme le fait aujourd’hui la région septentrionale de la Norvège, telle autre portion s’affaisse, comme on le constate à l’heure présente dans les îles du Pacifique. Les transformations des différentes parties du globe n’étant pas synchrones, il devient fort difficile d’établir le moment précis de ces transformations et, par conséquent, d’écrire ce que j’appellerai l’histoire géologique universelle de la terre.

Comment pourra-t-on, dans quelques milliers d’années, établir le synchronisme de l’affaissement du Pacifique avec le soulèvement du pôle nord ? Tandis qu’il ne restera peut-être plus aucune trace des îles actuelles du Pacifique, le pôle nord aura pris une élévation considérable. Le problème sera plus difficile encore à résoudre si les terres du Pacifique, après s’être affaissées au point de disparaître entièrement sous les eaux, subissent un nouveau soulèvement. Comment le géologue qui étudierait alors, d’une part, l’organisation des couches géologiques du pôle nord, d’autre part, celle des îles Maldives, pourrait-il déterminer les dépôts qui se sont effectués dans ces deux points pendant la durée du xixe siècle ? Tandis que pendant le cours de ce siècle les terres du pôle nord étaient dénudées par les eaux des pluies, des ruisseaux et des sources, celles des Maldives étaient recouvertes par les débris des squelettes calcaires des innombrables coraux qui édifient ces îles. La nature des roches ne pourrait donc pas permettre au géologue en question d’établir le synchronisme des modifications subies aujourd’hui par le pôle nord et par les Maldives. La nature des fossiles qu’il pourrait trouver dans les deux points ne pourrait pas davantage le conduire à la solution du problème ; tandis que les Maldives sont exposées à un climat tropical et habitées par des organismes adaptés à la chaleur, le pôle nord est couvert de neiges et de glaces et n’offre que des habitants organisés pour résister au froid. Cet exemple montre bien l’énorme difficulté, pour ne pas dire l’impossibilité, d’écrire une histoire géologique synchronique des diverses portions de la terre. On sait combien grands sont les obstacles que doit surmonter l’historien, pour écrire l’histoire civile universelle de l’humanité, à des époques même rapprochées de la nôtre. Eh bien, ces difficultés paraissent relativement minimes, quand on les compare à celles que rencontre le géologue. Tandis que les monuments mis à la disposition du premier portent des dates fixes, ceux dont peut faire usage le second n’offrent que des dates relatives.

Il est, sans doute, plus facile d’écrire l’histoire géologique particulière d’un point déterminé de notre globe ; mais les causes d’erreur sont encore nombreuses. En premier lieu, des lacunes énormes existent toujours. Toutes les couches formées pendant une période d’immersion ont pu être enlevées pendant la période d’émersion consécutive, en sorte que le géologue sera