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L’accord n’est cependant pas complet entre les géologues sur toutes ces questions. L’existence d’un océan universel est nié ou mis en doute par quelques-uns. L’école du géologue Lyell pense que la proportion actuelle des terres et des mers a toujours été à peu près la même et qu’il y a eu simplement transformation des terres en mers et des mers en terres, au point qu’il n’y a pas un seul point du globe qui n’ait été tour à tour et peut-être plusieurs fois mis à nu ou couvert par les eaux. « Il est bon d’ajouter, dit Lyell[1], que tout point qui se montre aujourd’hui terre sèche, a jadis été mer et que chaque partie de la surface terrestre que l’on voit actuellement couverte par l’océan le plus profond s’est trouvée autrefois à l’état de terre ferme. La distribution actuelle des terres et des mers nous porte à croire que la forme extérieure de l’écorce du globe a pu subir toutes les transformations imaginables. Il est possible qu’à une époque les continents se soient groupés surtout dans les régions équatoriales ; qu’à une autre, ils aient envahi le pôle et les espaces circumpolaires ; qu’à une certaine période, la majeure partie de la terre ferme se soit trouvée au nord de l’équateur, et dans une autre, au sud de cette ligne ; qu’une fois elle ait prédominé à l’est et qu’ensuite elle se soit montrée tout entière à l’ouest. À l’appui de cette idée, il est peut-être utile de constater que, de nos jours, l’hémisphère oriental contient juste deux fois autant de terre ferme que l’hémisphère occidental, et qu’en supposant même l’existence d’un continent antarctique, il y a deux fois plus de terre au nord de l’équateur qu’il n’en existe au sud de cette ligne. Mais, chose bien plus singulière, en ce qu’elle montre la distribution capricieuse des terres et des mers dans l’état actuel de la croûte terrestre, c’est qu’il est possible de diviser le globe en deux parties, de telle manière qu’un hémisphère renferme autant de terre que d’eau, tandis que l’autre offre un aspect tellement océanique que la mer soit à la terre dans le rapport très approximatif de 8 : 1… Il est un fait singulier qui a une connexion intime avec l’excès de terre ferme que l’on observe dans l’un des deux hémisphères, c’est que, en admettant même le continent antarctique, la trentième partie seulement de la surface du globe a de la terre à ses antipodes. »

L’une et l’autre opinion, celle qui admet l’existence d’une mer universelle et celle qui la nie, sont également hypothétiques, et je m’empresse d’ajouter également admissibles ; mais il est non moins difficile de les établir sur des preuves positives. Le seul argument qu’on puisse invoquer à l’appui de l’océan universel, c’est que l’on trouve partout des sédiments vitrescibles qu’il est permis de considérer comme dus à la désagrégation par les eaux des roches qui formaient la surface du globe à l’époque de son refroidissement. Or, cet argument tombe devant la certitude où nous sommes aujourd’hui que toutes les parties de la terre ont été plusieurs fois soulevées

  1. Principes de géologie, t. Ier, p. 137.