Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/36

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s’était d’abord fait admettre et qu’il fréquentait assidûment pendant sa jeunesse, comme ceux de Mme Geoffrin, de Mme Dupin, du baron d’Holbach, de La Pouplinière, de Mme d’Épinay, etc. ; il avait même fini par abandonner le commerce des savants dont il disait qu’il les avait d’abord recherchés, « croyant avoir beaucoup à gagner dans leur entretien, mais qu’il n’avait pas tardé à reconnaître que, pour quelques idées utiles, il avait le plus souvent perdu sa soirée tout entière[1]. » Il aimait cependant la société.

À Paris, ses réceptions du dimanche attiraient au Jardin du Roi[2] les

  1. Humbert Bazile, Buffon, ses collaborateurs, etc., p. 36.
  2. M. Nadault de Buffon a recueilli quelques échos de ces réunions du Jardin du Roi. « Parmi les femmes qui se rencontraient au Jardin du Roi, dit-il(1), il faut mentionner Mme Necker, qui en fit quelque temps les honneurs ; la comtesse de Genlis, qui y brillait par son grand talent sur la harpe et sa voix harmonieuse autant que par son esprit ; la comtesse Fanny de Beauharnais, qui y lut ses meilleures compositions, la comtesse de Blot de Chauvigny et toute la jeune cour du Palais-Royal introduite dans le salon de Buffon par le mariage de son fils avec la fille de la marquise de Cepoy. »

    La comtesse de Blot, qui parlait beaucoup et sur tous les sujets, aimait à s’abriter derrière le grand nom de Buffon. On pourra en juger par le trait suivant. C’est au Palais-Royal, un jour de réception ; la comtesse de Blot parle, assise au milieu d’un cercle.

    « Je disais l’autre jour à M. de Buffon : « Puisqu’il faut du lait dans la nature, pourquoi les colombes ne nous en fournissent-elles pas ? » — C’était parler comme un ange ! lui dit la maréchale de Luxembourg. Oserais-je vous demander ce que M. de Buffon a répondu ?

    — Il a pris, je ne sais pourquoi, la chose en plaisanterie ; et il m’a conseillé de ne boire que du lait d’amandes. »

    La marquise de Valpaire, qui avait une fille jeune et jolie, consultait Buffon sur le régime qu’elle devait lui faire suivre. Elle ne lui permettait que les boissons rafraîchissantes, ce qui n’empêcha pas la jeune personne de prendre la fuite avec le valet de chambre de sa mère. « Vous verrez, dit Buffon, que ce sera arrivé un jour où sa mère aura négligé de lui faire prendre sa potion rafraîchissante ! »

    Les Mémoires du temps renferment de leur côté quelques anecdotes sur les soirées du Jardin du Roi.

    « Le comte de Buffon, qui m’accordait son amitié, dit la vicomtesse de Fars-Fausselandry dans ses Mémoires, avait invité un jour à dîner une société nombreuse, dont le maréchal de Biron et le chevalier de Mouhi devaient faire partie. Tous les convives étaient arrivés, hors ces deux messieurs : une voiture se fait entendre ; le maître de la maison jette un coup d’œil par la fenêtre : « Voici le maréchal, dit-il, c’est sa voiture, et je reconnais le chevalier de Mouhi sur le devant. » Chacun se lève, le valet de chambre ouvre la porte, mais le chevalier se présente seul. « Où est donc M. le maréchal ? lui demanda le comte de Buffon avec impatience. — Il n’a pu venir, répliqua-t-il. — Vous plaisantez, je vous ai vu assis devant de sa voiture. — C’était par respect, monsieur le comte. » Nous nous regardâmes tous, ne pouvant revenir de cet excès de bassesse. »

    On parlait un jour chez M. de Buffon des mouvements naturels. « Il m’est impossible, dit le cardinal de Bernis, de ne pas baisser la tête lorsque j’entre dans une église. »

    « Il y a comme cela des mouvements matériels et machinaux qu’il est impossible d’analyser et d’expliquer, observa M. Rouelle, présent à l’entretien ; car enfin, Monseigneur, pourquoi les ânes et les canards baissent-ils toujours la tête en passant sous les portes cochères ? »

    Je n’ai rapporté ces quelques anecdotes que pour montrer que les réceptions et les dîners du Jardin du Roi ne réunissaient pas seulement les littérateurs, les savants et les hommes illustres par leur naissance, leurs dignités ou leurs talents, mais qu’on y rencontrait un autre élément et qu’une certaine gaieté n’en était point exclue.

    (1) Correspondance, 1re édition, t. Ier, p. 489.