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dans son remarquable ouvrage Sur les Profondeurs de la mer, s’exprime de la façon suivante : « Dans ce limon (limon contenant des globigérines, rapporté de 2 435 brasses, ou environ 14 000 pieds de profondeur, dans le golfe de Gascogne), ainsi que dans la plupart des autres échantillons de limon tiré du lit de l’océan Atlantique, on constatait une quantité considérable de matière molle, gélatineuse, organique, dans une proportion assez considérable pour donner au limon une véritable viscosité. Si l’on agite ce limon avec de l’esprit-de-vin à un faible degré, des flocons très fins se déposent, ayant l’aspect d’une substance muqueuse et coagulée. Si un peu de ce limon, dont la nature visqueuse est des plus évidentes, est placé dans une goutte d’eau de mer sous le microscope, on peut ordinairement apercevoir, au bout de quelque temps, un réseau irrégulier de matière albuminoïde, avec contours nettement dessinés, et qui ne se mêle pas avec l’eau. On peut voir comment cette masse visqueuse modifie peu à peu sa forme et comment les granules englobés et les corps étrangers y changent leur situation relative. La substance gélatineuse est donc susceptible d’un certain degré de mouvement, et il ne peut y avoir aucun doute qu’elle ne manifeste des phénomènes d’une forme de la vie très simple, très élémentaire. » Plus tard, M. Hæckel l’observa de nouveau, mais à l’état inerte, dans le même limon conservé dans l’alcool.

La première description du Bathybius Hæckelii fut accueillie avec enthousiasme par les partisans de la doctrine du transformisme. On admit, avec un peu trop de promptitude, que tout le fond des mers était tapissé par cet organisme rudimentaire, et l’on pensa qu’il s’y formait sans cesse spontanément. Cette hypothèse était d’autant plus admissible que dans le milieu habité par le Bathybius les conditions ambiantes sont d’une remarquable constance ; on pourrait donc les considérer comme particulièrement favorables à une production incessante de matière vivante rudimentaire.

Des doutes sérieux et en apparence très fondés ne tardèrent cependant pas à être émis relativement à la nature animale du Bathybius. Pendant la remarquable expédition du Challenger qui dura trois ans et que dirigeait M. Wyville Thomson, on ne put, malgré les recherches les plus actives, parvenir à retrouver cet organisme. Force était d’admettre qu’il manquait dans les mers explorées par le Challenger, ou du moins dans tous les points où des sondages avaient été faits. On alla plus loin ; on nia la nature animale du Bathybius. Les chimistes ayant montré que quand on verse de l’alcool absolu dans de l’eau de mer, il se forme un précipité visqueux, on émit l’idée que le prétendu organisme décrit par M. Huxley n’était pas autre chose qu’un précipité de cet ordre. Au congrès scientifique de Hambourg, en 1876, Mœbius reproduisit cette expérience avec grand fracas. On crut, ou du moins on feignit de croire qu’elle était concluante, et le Bathybius fut rayé par beaucoup de gens de la liste des êtres vivants. Rien cependant n’était moins