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espèces. On définissait alors l’espèce, avec Linné : l’ensemble des individus capables de se reproduire entre eux en donnant des descendants indéfiniment féconds, et l’on ajoutait que l’espèce était immuable, c’est-à-dire que chaque espèce avait toujours été et serait toujours ce qu’elle est actuellement.

Linné admet l’espèce immuable. L’un des botanistes les plus illustres du xviiie siècle, Adanson, dont nous aurons à reparler plus bas, résume admirablement cette doctrine dans les lignes suivantes, écrites en 1763 : « Suivant Linnæus[1], les espèces de plantes sont naturelles et constantes, parce que leur propagation soit par graines, soit par bourgeons n’est qu’une continuation de la même espèce de plante : car qu’une graine ou un bourgeon soient mis en terre, ils produisent chacun une plante semblable à la mère dont ils ne sont qu’une continuation. De là on a conclu que les individus meurent, mais que l’espèce ne meurt pas. »

Buffon admet la variabilité des espèces. Buffon peut être considéré comme le premier naturaliste qui ait protesté contre la prétendue immutabilité ou fixité des espèces. Il faut dire, il estvrai, qu’avant Linné, on n’avait eu que fort peu l’idée de l’espèce. On admettait bien des familles, des genres, mais on avait à peine précisé le sens attaché à ces mots ; on n’avait même pas de nom pour les genres ; Tournefort, le premier, créa les noms génériques, et détermina le sens qu’îl attachait à ce mot « le genre », mais il ne descendit pas plus bas. Linné, le premier, imagina les noms spécifiques, noms formés de deux mots : le premier désignant le genre et le second l’espèce, exemple : Felis Leo, indiquant que le lion appartient au genre Felis et à l’espèce Leo ; Felis Catus indiquant que notre chat domestique appartient comme le lion au genre Felis, mais à une espèce distincte désignée par le mot Catus. Linné donna de l’espèce une définition précise, et il affirma son immutabilité, ainsi que nous l’avons vu plus haut.

La plupart des naturalistes anciens avaient cru à une gradation des êtres, à une sorte de lien les unissant les uns aux autres. Aristote admettait la génération spontanée des animaux inférieurs ; il croyait que la teigne naît dans la laine, le ciron dans le bois ; les poètes, brodant sur cela, admirent, comme Virgile, la naissance des abeilles dans les entrailles des chevaux ; Lucrèce croit également à une chaîne des êtres et à la génération spontanée des plus inférieurs. Le judaïsme et le catholicisme enrayèrent le mouvement de ces idées en imposant la croyance à la création, mais la tradition ancienne persistait dans quelques esprits, et nous voyons au commencement du xviiie siècle, de Maillet, dont j’ai eu déjà l’occasion de parler, admettre une transformation de tous les animaux qui auraient d’abord vécu dans la mer avant de devenir terrestres.

  1. Phil. Botan., p. 99.