Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/403

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bles, et que c’était de ce point dont il fallait partir pour faire une méthode ; et comme cette idée s’est trouvée vraie jusqu’à un certain point, en sorte que les parties de la génération des plantes se sont trouvées avoir quelques différences plus constantes que toutes les autres parties de la plante, prises séparément, on a vu tout d’un coup s’élever plusieurs méthodes de botanique, toutes fondées à peu près sur ce même principe ; parmi ces méthodes, celle de M. de Tournefort est la plus remarquable, la plus ingénieuse et la plus complète. Cet illustre botaniste a senti les défauts d’un système qui serait purement arbitraire ; en homme d’esprit, il a évité les absurdités qui se trouvent dans la plupart des autres méthodes de ses contemporains, et il a fait ses distributions et ses exceptions avec une science et une adresse infinies ; il avait, en un mot, mis la botanique au point de se passer de toutes les autres méthodes, et il l’avait rendue susceptible d’un certain degré de perfection ; mais il s’est élevé un autre méthodiste[1] qui, après avoir loué son système, a tâché de le détruire pour établir le sien, et qui ayant adopté avec M. de Tournefort les caractères tirés de la fructification, a employé toutes les parties de la génération des plantes, et surtout les étamines, pour en faire la distribution de ses genres ; et méprisant la sage attention de M. de Tournefort à ne pas forcer la nature au point de confondre, en vertu de son système, les objets les plus différents, comme les arbres avec les herbes, a mis ensemble et dans les mêmes classes le mûrier et l’ortie, la tulipe et l’épine-vinette, l’orme et la carotte, la rose et la fraise, le chêne et la pimprenelle. N’est-ce pas se jouer de la nature et de ceux qui l’étudient ? et si tout cela n’était pas donné avec une certaine apparence d’ordre mystérieux, et enveloppé de grec et d’érudition botanique, aurait-on tant tardé à faire apercevoir le ridicule d’une pareille méthode, ou plutôt à montrer la confusion qui résulte d’un assemblage si bizarre ? Mais ce n’est pas tout, et je vais insister, parce qu’il est juste de conserver à M. de Tournefort la gloire qu’il a méritée par un travail sensé et suivi, et parce qu’il ne faut pas que les gens qui ont appris la botanique par la méthode de Tournefort perdent leur temps à étudier cette nouvelle méthode où tout est changé jusqu’aux noms et aux surnoms des plantes. Je dis donc que cette nouvelle méthode, qui rassemble dans la même classe des genres de plantes entièrement dissemblables, a encore, indépendamment de ces disparates, des défauts essentiels, et des inconvénients plus grands que toutes les méthodes qui ont précédé. Comme les caractères des genres sont pris de parties presque infiniment petites, il faut aller le microscope à la main pour reconnaître un arbre ou une plante ; la grandeur, la figure, le port extérieur, les feuilles, toutes les parties apparentes ne servent plus à rien, il n’y a que les étamines, et si l’on ne peut pas voir les étamines, on ne sait rien, on n’a rien

  1. Linné.