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laquelle il était dominé de rechercher les animaux pouvant servir de passage entre les différents groupes. « Non contente (la nature) de varier le trait primitif de son dessin dans chaque genre, en le fléchissant sous les contours auxquels il pouvait se prêter, ne semble-t-elle pas avoir voulu tracer d’un genre à un autre, et même de chacun à tous les autres, des lignes de communication, des fils de rapprochement et de jonction au moyen desquels rien n’est coupé et tout s’enchaîne, depuis le plus riche et le plus hardi de ses chefs-d’œuvre, jusqu’aux plus simples de ses essais ? Ainsi dans l’histoire des oiseaux, nous avons vu l’autruche, le casoar, le dronte, par le raccourcissement des ailes et la pesanteur du corps, par la grosseur des ossements de leurs jambes, faire la nuance entre les animaux de l’air et ceux de la terre ; nous verrons de même le pingouin, le manchot, oiseaux demi-poissons, se plonger dans les eaux et se mêler avec leurs habitants ; et l’anhinga, dont nous allons parler, nous offre l’image d’un reptile enté sur le corps d’un oiseau ; son cou long et grêle à l’excès, sa petite tête cylindrique roulée en fuseau, de même venue avec le cou, et effilée en un long bec aigu, ressemble à la figure et même au mouvement d’une couleuvre, soit par la manière dont cet oiseau étend brusquement son cou en partant de dessus les arbres, soit par la façon dont il le replie et le lance dans l’eau pour darder les poissons.

» Ces singuliers rapports ont également frappé tous ceux qui ont observé l’anhinga dans son pays natal (le Brésil et la Guyane) ; ils nous frappent de même jusque dans sa dépouille desséchée et conservée dans nos cabinets[1]. »

Il dit[2] du guillemot (Colymbus Troile L.), dont les ailes sont très courtes, qu’il « nous présente les traits par lesquels la nature se prépare à terminer la suite nombreuse des formes variées du genre entier des oiseaux ».

Son histoire des pingouins et des manchots, dont les ailes sont encore plus réduites, commence par les curieuses observations suivantes[3] : « L’oiseau sans ailes est sans doute le moins oiseau qu’il soit possible ; l’imagination ne sépare pas volontiers l’idée du vol du nom d’oiseau ; néanmoins le vol n’est qu’un attribut et non pas une propriété essentielle, puisqu’il existe des quadrupèdes avec des ailes et des oiseaux qui n’en ont point ; il semble donc qu’en ôtant les ailes à l’oiseau c’est en faire une espèce de monstre produit par une erreur ou un oubli de la nature ; mais ce qui nous paraît être un dérangement dans ses plans ou une interruption dans sa marche, en est pour elle l’ordre et la suite, et sert à remplir ses vues dans toute leur étendue : comme elle prive le quadrupède de pieds, elle prive l’oiseau d’ailes, et ce qu’il y a de remarquable elle paraît avoir commencé dans les oiseaux de terre, comme elle finit dans les oiseaux d’eau par cette même défectuosité ; l’autruche est pour ainsi dire sans ailes ; le

  1. Histoire naturelle des oiseaux, t. VIII, p. 233.
  2. Ibid., p. 429.
  3. Ibid., p. 439.