Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/422

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grossiers, qui par leur largeur et leur saillie raccourcissent le front et lui font perdre son caractère auguste, et non seulement mettent les yeux dans l’ombre, mais les enfoncent et les arrondissent comme ceux des animaux ; les lèvres épaisses et avancées ; le nez aplati ; le regard stupide ou farouche ; les oreilles, le corps et les membres velus ; la peau dure comme un cuir noir ou tanné ; les ongles longs, épais et crochus ; une semelle calleuse, en forme de corne, sous la plante des pieds ; et pour attributs du sexe des mamelles longues et molles, la peau du ventre pendante jusque sur les genoux ; les enfants se vautrant dans l’ordure et se traînant à quatre ; le père et la mère, assis sur leurs talons, tout hideux, tout couverts d’une crasse empestée. Et cette esquisse, tirée d’après le sauvage hottentot, est encore un portrait flatté ; car il y a plus loin de l’homme dans l’état de pure nature à l’Hottentot, que de l’Hottentot à nous : chargez donc encore le tableau si vous voulez comparer le singe à l’homme, ajoutez-y les rapports d’organisation, les convenances de tempérament, l’appétit véhément des singes mâles pour les femmes, la même conformation dans les parties génitales des deux sexes ; l’écoulement périodique dans les femelles, et les mélanges forcés ou volontaires des négresses aux singes, dont le produit est rentré dans l’une ou l’autre espèce ; et voyez, supposé qu’elles ne soient pas la même, combien l’intervalle qui les sépare est difficile à saisir.

» Je l’avoue, si l’on ne devait juger que par la forme, l’espèce du singe pourrait être prise pour une variété dans l’espèce humaine : le Créateur n’a pas voulu faire pour le corps de l’homme un modèle absolument différent de celui de l’animal ; il a compris sa forme, comme celle de tous les animaux, dans un plan général ; mais en même temps qu’il lui a départi cette forme matérielle, semblable à celle du singe, il a pénétré ce corps animal de son souffle divin ; s’il eût fait la même faveur, je ne dis pas au singe, mais à l’espèce la plus vile, à l’animal qui nous paraît le plus mal organisé, cette espèce serait bientôt devenue la rivale de l’homme ; vivifiée par l’esprit, elle eût primé sur les autres ; elle eût pensé, elle eût parlé : quelque ressemblance qu’il y ait donc entre l’Hottentot et le singe, l’intervalle qui les sépare est immense, puisqu’à l’intérieur il est rempli par la pensée, et au dehors par la parole[1]. »

Causes des transformations des organismes d’après Buffon. Pour terminer l’exposé des idées de Buffon sur les espèces et leurs variations, il me reste à montrer quelles causes il attribuait aux transformations des organismes.

On ne peut pas dire que Buffon ait réellement cherché à exposer une théorie complète de la formation des espèces. D’après l’impression que j’ai retirée de la lecture attentive de ses œuvres, je crois pouvoir dire, sans crainte de me tromper, qu’il évitait de se prononcer nettement sur une

  1. Voyez la note ci-dessus.