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avouer que j’ai trouvé les unes et les autres aussi ridicules que possible, et j’ai hâte d’abandonner ce sujet.

Ses croyances religieuses et les concessions qu’il fit à l’Église ne l’empêchèrent pas d’ailleurs d’être l’objet d’attaques violentes de la part de ceux qui lisaient entre les lignes et qui virent dans l’Histoire naturelle des armes redoutables mises au service des encyclopédistes. Le 2 décembre 1749, après la publication de l’Histoire de la terre, le marquis d’Argenson inscrit dans ses Mémoires cette note : « Le sieur Buffon, auteur de l’Histoire naturelle, a la tête tournée du chagrin que lui donne le succès de son livre. Les dévots sont furieux et veulent le faire brûler par la main du bourreau. Véritablement, il contredit la Genèse en tout. »

Les Lettres à un Américain débutent par des attaques violentes contre la prétendue irréligion de Buffon[1]. « M. de Buffon n’est pas dans le cas de ces auteurs dont vous me parlez dans votre dernière lettre. « Ces gens-là, me disiez-vous, sentent fort bien que la raison conduit à la religion chrétienne ; c’est pour cela qu’ils s’efforcent d’ébranler tous les fondements du raisonnement humain, dans l’espérance que l’homme, cessant d’en faire usage, ne trouvera plus de voie qui le mène à la religion. » On ne peut pas prêter les mêmes vues à M. de Buffon, puisqu’il fait hautement profession de reconnaître la divinité des livres de Moïse. Mais on ne peut nier qu’il ne travaille ouvertement à anéantir tous les principes des sciences, aussi bien que les auteurs dont vous me parliez ; même mépris pour les modernes les plus accrédités, même zèle pour le rétablissement de l’ancienne philosophie, même goût pour le paradoxe et pour l’obscurité. Il n’a certainement pas senti toutes les conséquences que les incrédules, ou comme ils s’appellent, les inconvaincus, pourraient tirer de son ouvrage… M. de Buffon serait bien autrement offensé s’il savait que les matérialistes regardent son énorme préface comme l’anti-polignac et comme le rétablissement de l’épicurisme. Ils ont tort assurément : M. de Buffon donne de très bonnes preuves de la distinction de l’âme et du corps, et ceci décide contre leurs soupçons. Mais, disent-ils, sans ces dehors du christianisme, on n’aurait pu obtenir la permission d’imprimer. Cette raison n’est pas trop recevable : M. de Buffon ne me paraît pas homme à garder tant de mesures ; il y va bonnement, on voit bien qu’il s’est cru au-dessus de toute censure. S’il avait craint de ce côté-là, il aurait assurément supprimé bien des choses. On ne peut néanmoins se dissimuler que ces messieurs les inconvaincus n’aient quelques raisons de le préconiser comme un des leurs. Dans son ouvrage, tout s’opère fortuitement ; les animaux mêmes se composent d’éléments qu’il appelle vivants, et également propres à entrer dans la con-

  1. Lettres à un Américain sur l’Histoire naturelle, générale et particulière de M. de Buffon, t. Ier}}, p. 4.