Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/98

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Parmi les phénomènes célestes qui durent inspirer à Laplace sa théorie, il faut citer en premier lieu celui qui est offert par Saturne. Rappelons que cette planète présente, au niveau de son équateur, des anneaux concentriques dont la largeur est évaluée à 65 600 kilomètres et dont l’épaisseur est de 2 070 kilomètres. Après avoir longtemps discuté sur leur nature, on adopte à peu près généralement aujourd’hui l’opinion de M. Hirn, d’après laquelle les anneaux seraient des agrégations de corpuscules solides, discontinus, de dimensions peu considérables, se mouvant isolément, mais simultanément, autour de Saturne, à la façon de minuscules satellites, avec des vitesses qui varient d’après la distance à laquelle ils sont placés du centre de la planète. Les astronomes s’accordent généralement, avec Laplace, à voir dans les anneaux des restes de la zone qui entourait Saturne avant qu’il se fût condensé en globe. « La distribution régulière des anneaux de Saturne autour de son centre et dans le plan de son équateur, dit Laplace[1], résulte naturellement de cette hypothèse, et sans elle devient inexplicable ; ces anneaux me paraissent être des preuves toujours subsistantes de l’extension primitive de l’atmosphère de Saturne et de ses retraites successives. » On pourrait presque dire que Saturne nous présente une des phases anciennes de son évolution, pour ainsi dire figée, comme un témoin irrécusable de son histoire et de celle du système solaire tout entier.

Dans ces derniers temps, M. É. Roche[2] a complété la théorie de Laplace en résolvant un certain nombre de problèmes particuliers dont cette théorie n’avait pas encore pu fournir la solution. Faye a résumé[3] de la façon suivante les idées de M. Roche :

« M. Roche reprend l’étude du système planétaire afin de compléter l’idée de Laplace et de faire disparaître certaines objections que l’illustre auteur avait laissé subsister. Il y restait, en effet, certaines difficultés : le mouvement rétrograde des satellites d’Uranus et de Neptune, les anneaux de Saturne, la grande distance qui sépare la lune de la terre ; pourquoi, entre Jupiter et Mars, cette solution de continuité déjà remarquée par Kepler dans la succession des grosses planètes ? Pourquoi cette multitude d’astéroïdes dont le nombre s’élève déjà à 135, et dépasse peut-être de beaucoup ce nombre déjà si grand, au lieu de la planète unique que nous devrions y voir circuler ? Pourquoi, après cette espèce d’hiatus dans le monde planétaire, voit-on se succéder les formations si différentes des précédentes, celles des planètes très denses à rotation lente, comme Mars, la Terre, Vénus et Mercure ?

» Ces problèmes ont été traités par M. Roche à l’aide d’une conception nouvelle qu’il a tirée de ses travaux antérieurs. Laplace n’avait considéré que des anneaux abandonnés au delà de la limite où la pesanteur vers le soleil

  1. Exposition du système du monde, édit. de l’an IV, t. II, p. 278-301.
  2. Essai sur la constitution et l’origine du système solaire.
  3. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 5 novembre 1879.