Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/104

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tantes, et qu’il connaissait mieux que ceux qui ont écrit avant lui les matières dont le globe est composé, son système, quoique mal conçu et mal digéré, n’a pas laissé d’éblouir les gens séduits par la vérité de quelques faits particuliers, et peu difficiles sur la vraisemblance des conséquences générales. Nous avons donc cru devoir présenter un extrait de cet ouvrage, dans lequel, en rendant justice au mérite de l’auteur et à l’exactitude de ses observations, nous mettrons le lecteur en état de juger de l’insuffisance de son système et de la fausseté de quelques-unes de ses remarques. M. Woodward dit avoir reconnu par ses yeux que toutes les matières qui composent la terre en Angleterre, depuis sa surface jusqu’aux endroits les plus profonds où il est descendu, étaient disposées par couches, et que, dans un grand nombre de ces couches, il y a des coquilles et d’autres productions marines ; ensuite il ajoute que par ses correspondants et par ses amis il s’est assuré que dans les autres pays la terre est composée de même, et qu’on y trouve des coquilles, non seulement dans les plaines et en quelques endroits, mais encore sur les plus hautes montagnes, dans les carrières les plus profondes et en une infinité d’endroits ; il a vu que ces couches étaient horizontales et posées les unes sur les autres, comme le seraient des matières transportées par les eaux et déposées en forme de sédiments. Ces remarques générales, qui sont très vraies, sont suivies d’observations particulières par lesquelles il fait voir évidemment que les fossiles qu’on trouve incorporés dans les couches sont de vraies coquilles et de vraies productions marines, et non pas des minéraux, des corps singuliers, des jeux de la nature, etc. À ces observations, quoique en partie faites avant lui, qu’il a rassemblées et prouvées, il en ajoute d’autres qui sont moins exactes ; il assure que toutes les matières des différentes couches sont posées les unes sur les autres dans l’ordre de leur pesanteur spécifique, en sorte que les plus pesantes sont au-dessous, et les plus légères au-dessus. Ce fait général n’est point vrai ; on doit arrêter ici l’auteur, et lui montrer les rochers que nous voyons tous les jours au-dessus des glaises, des sables, des charbons de terre, des bitumes, et qui certainement sont plus pesants spécifiquement que toutes ces matières ; car, en effet, si par toute la terre on trouvait d’abord les couches de bitume, ensuite celles de craie, puis celles de marne, ensuite celles de glaise, celles de sable, celles de pierre, celles de marbre, et enfin les métaux, en sorte que la composition de la terre suivît exactement et partout la loi de la pesanteur, et que les matières fussent toutes placées dans l’ordre de la gravité spécifique, il y aurait apparence qu’elles se seraient toutes précipitées en même temps, et voilà ce que notre auteur assure avec confiance, malgré l’évidence du contraire ; car, sans être observateur, il ne faut qu’avoir des yeux pour être assuré que l’on trouve des matières pesantes très souvent posées sur des matières légères, et que par conséquent ces sédiments ne se sont pas précipités tous en même temps, mais qu’au contraire ils ont été amenés et déposés successivement par les eaux. Comme c’est là le fondement de son système et qu’il porte manifestement à faux, nous ne le suivrons plus loin que pour faire voir combien un principe erroné peut produire de fausses combinaisons et de mauvaises conséquences. Toutes les matières, dit notre auteur, qui composent la terre, depuis les sommets des plus hautes montagnes jusqu’aux plus grandes profondeurs des mines et des carrières, sont disposées par couches, suivant leur pesanteur spécifique ; donc, conclut-il, toute la matière qui compose le globe a été dissoute et s’est précipitée en même temps. Mais dans quelle matière et en quel temps a-t-elle été dissoute ? dans l’eau et dans le temps du déluge. Mais il n’y a pas assez d’eau sur le globe pour que cela se puisse, puisqu’il y a plus de terre que d’eau, et que le fond de la mer est de terre : eh bien, nous dit-il, il y a de l’eau plus qu’il n’en faut au centre de la terre ; il ne s’agit que de la faire monter, de lui donner tout ensemble la vertu d’un dissolvant universel et la qualité d’un remède préservatif pour les coquilles qui seules n’ont pas été dissoutes, tandis que les marbres et les rochers l’ont été ; de trouver ensuite le moyen de faire rentrer cette eau dans l’abîme, et de faire cadrer tout cela avec