Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/108

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les autres débris de la mer qu’on trouve partout prouvent que la mer a couvert toute la terre ; et la grande quantité de sels fixes, de sables et d’autres matières fondues et calcinées, qui sont renfermées dans les entrailles de la terre, prouvent que l’incendie a été général et qu’il a précédé l’existence des mers. Quoique ces pensées soient dénuées de preuves, elles sont élevées, et on sent bien qu’elles sont le produit des méditations d’un grand génie. Les idées ont de la liaison, les hypothèses ne sont pas absolument impossibles, et les conséquences qu’on en peut tirer ne sont pas contradictoires ; mais le grand défaut de cette théorie, c’est qu’elle ne s’applique point à l’état présent de la terre, c’est le passé qu’elle explique, et ce passé est si ancien et nous a laissé si peu de vestiges qu’on peut en dire tout ce qu’on voudra, et qu’à proportion qu’un homme aura plus d’esprit, il en pourra dire des choses qui auront l’air plus vraisemblable. Assurer, comme l’assure Whiston, que la terre a été comète, ou prétendre avec Leibniz qu’elle a été soleil, c’est dire des choses également possibles ou impossibles, et auxquelles il serait superflu d’appliquer les règles des probabilités ; dire que la mer a autrefois couvert toute la terre, qu’elle a enveloppé le globe tout entier, et que c’est par cette raison qu’on trouve des coquilles partout, c’est ne pas faire attention à une chose très essentielle, qui est l’unité du temps de la création ; car, si cela était, il faudrait nécessairement dire que les coquillages et les autres animaux, habitants des mers, dont on trouve les dépouilles dans l’intérieur de la terre, ont existé les premiers, et longtemps avant l’homme et les animaux terrestres : or, indépendamment du témoignage des livres sacrés, n’a-t-on pas raison de croire que toutes les espèces d’animaux et de végétaux sont à peu près aussi anciennes les unes que les autres ?

M. Scheuchzer, dans une Dissertation qu’il a adressée à l’Académie des sciences en 1708, attribue, comme Woodward, le changement ou plutôt la seconde formation de la surface du globe au déluge universel ; et, pour expliquer celle des montagnes, il dit qu’après le déluge Dieu, voulant faire rentrer les eaux dans les réservoirs souterrains, avait brisé et déplacé de sa main toute-puissante un grand nombre de lits auparavant horizontaux, et les avait élevés sur la surface du globe ; toute la Dissertation a été faite pour appuyer cette opinion. Comme il fallait que ces hauteurs ou éminences fussent d’une consistance fort solide, M. Scheuchzer remarque que Dieu ne les tira que des lieux où il y avait beaucoup de pierres ; de là vient, dit-il, que les pays, comme la Suisse, où il y en a une grande quantité, sont montagneux, et qu’au contraire ceux qui, comme la Flandre, l’Allemagne, la Hongrie, la Pologne, n’ont que du sable ou de l’argile, même à une assez grande profondeur, sont presque entièrement sans montagnes. (Voyez l’Hist. de l’Acad., 1708, p. 32.)

Cet auteur a eu plus qu’aucun autre le défaut de vouloir mêler la physique avec la théologie, et, quoiqu’il nous ait donné quelques bonnes observations, la partie systématique de ses ouvrages est encore plus mauvaise que celle de tous ceux qui l’ont précédé ; il a même fait sur ce sujet des déclamations et des plaisanteries ridicules. Voyez la plainte des poissons, Piscium querelæ, etc., sans parler de son gros livre en plusieurs volumes in-folio, intitulé : Physica sacra, ouvrage puéril, et qui paraît fait moins pour occuper les hommes que pour amuser les enfants par les gravures et les images qu’on y a entassées à dessein et sans nécessité.

Stenon et quelques autres après lui ont attribué la cause des inégalités de la surface de la terre à des inondations particulières, à des tremblements de terre, à des secousses, des éboulements, etc. ; mais les effets de ces causes secondaires n’ont pu produire que quelques légers changements. Nous admettons ces mêmes causes après la cause première qui est le mouvement du flux et reflux, et le mouvement de la mer d’orient en occident ; au reste, Stenon ni les autres n’ont pas donné de théorie, ni même de faits généraux sur cette matière. (Voyez la Diss. de Solido intra solidum, etc.)