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vitrifiée se sont trouvées les parties que le feu aura le plus divisées, comme les sables, qui ne sont que des fragments de verre ; et au-dessus de ces sables les parties les plus légères, les pierres ponces, les écumes et les scories de la matière vitrifiée ont surnagé et ont formé les glaises et les argiles : le tout était recouvert d’une couche d’eau[1] de 5 ou 600 pieds d’épaisseur, qui fut produite par la condensation des vapeurs lorsque le globe commença à se refroidir ; cette eau déposa partout une couche limoneuse mêlée de toutes les matières qui peuvent se sublimer et s’exhaler par la violence du feu, et l’air fut formé des vapeurs les plus subtiles qui se dégagèrent des eaux par leur légèreté, et les surmontèrent.

Tel était l’état du globe lorsque l’action du flux et reflux, celle des vents et de la chaleur du soleil commencèrent à altérer la surface de la terre. Le mouvement diurne et celui du flux et reflux élevèrent d’abord les eaux sous les climats méridionaux ; ces eaux entraînèrent et portèrent vers l’équateur le limon, les glaises, les sables, et, en élevant les parties de l’équateur, elles abaissèrent peut-être peu à peu celles des pôles de cette différence d’environ deux lieues dont nous avons parlé ; car les eaux brisèrent bientôt et réduisirent en poussière les pierres ponces et les autres parties spongieuses de la matière vitrifiée, qui étaient à la surface : elles creusèrent des profondeurs et élevèrent des hauteurs qui dans la suite sont devenues des continents, et elles produisirent toutes les inégalités que nous remarquons à la surface de la terre, et qui sont plus considérables vers l’équateur que partout ailleurs ; car les plus hautes montagnes sont entre les tropiques et dans le milieu des zones tempérées, et les plus basses sont au cercle polaire et au delà ; puisque l’on a, entre les tropiques, les Cordillères et presque toutes les montagnes du Mexique et du Brésil, les montagnes de l’Afrique, savoir le grand et le petit Atlas, les monts de la Lune, etc., et que d’ailleurs les terres qui sont entre les tropiques sont les plus inégales de tout le globe, aussi bien que les mers, puisqu’il se trouve entre les tropiques beaucoup plus d’îles que partout ailleurs ; ce qui fait voir évidemment que les plus grandes inégalités de la terre se trouvent en effet dans le voisinage de l’équateur.

Quelque indépendante que soit ma théorie de cette hypothèse sur ce qui s’est passé dans le temps de ce premier état du globe, j’ai été bien aise d’y remonter dans cet article, afin de faire voir la liaison et la possibilité du système que j’ai proposé et dont j’ai donné le précis dans l’article premier ; on doit seulement remarquer que ma théorie, qui fait le texte de cet ouvrage, ne part pas de si loin ; que je prends la terre dans un état à peu près semblable à celui où nous la voyons, et que je ne me sers d’aucune des suppositions qu’on est obligé d’employer lorsqu’on veut raisonner sur l’état passé du globe terrestre ; mais, comme je donne ici une nouvelle idée au sujet du limon des eaux qui, selon moi, a formé la première couche de terre qui environne le globe, il me paraît nécessaire de donner aussi les raisons sur lesquelles je fonde cette opinion.

Les vapeurs qui s’élèvent dans l’air produisent les pluies, les rosées, les feux aériens, les tonnerres et les autres météores ; ces vapeurs sont donc mêlées de particules aqueuses, aériennes, sulfureuses, terrestres, etc., et ce sont ces particules solides et terrestres qui forment le limon dont nous voulons parler. Lorsqu’on laisse déposer de l’eau de pluie, il

  1. Cette opinion, que la terre a été entièrement couverte d’eau, est celle de quelques philosophes anciens, et même de la plupart des Pères de l’Église : In mundi primordio aqua in omnem terram stagnabat, dit saint Jean Damascène, liv. II, chap. ix. Terra erat invisibilis, quia exundabat aqua et operiebat terram, dit saint Ambroise, liv. I, Hexam. chap. viii. Submersa tellus cùm esset, faciem ejus inundante aquà, non erat adspectabitis, dit saint Basile, Homélie 2. Voyez aussi saint Augustin, chap. Ier de la Genèse, chap. xii.