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la blancheur n’est pas seulement au dehors, mais qu’elle pénètre dans l’intérieur plus ou moins profondément, et y forme une espèce de bande, qui n’a dans de certains cailloux que très peu d’épaisseur, mais qui dans d’autres occupe presque toute celle du caillou ; cette partie blanche est un peu grenue, entièrement opaque, aussi tendre que la pierre, et elle s’attache à la langue comme les bols, tandis que le reste du caillou est lisse et poli, qu’il n’a ni fil ni grain, et qu’il a conservé sa couleur naturelle, sa transparence et sa même dureté ; si on met dans un fourneau ce même caillou à moitié décomposé, sa partie blanche deviendra d’un rouge couleur de tuile, et sa partie brune d’un très beau blanc. Qu’on ne dise point, avec un de nos plus célèbres naturalistes, que ces pierres sont des cailloux imparfaits de différents âges, qui n’ont pas encore acquis leur perfection ; car pourquoi seraient-ils tous imparfaits ? pourquoi le seraient-ils tous du même côté, et du côté qui est exposé à l’air ? Il me semble qu’il est aisé de se convaincre que ce sont, au contraire, des cailloux altérés, décomposés, qui tendent à reprendre la forme et les propriétés de l’argile et du bol dont ils ont été formés. Si c’est conjecturer que de raisonner ainsi, qu’on expose en plein air le caillou le plus caillou (comme parle ce fameux naturaliste), le plus dur et le plus noir, en moins d’une année il changera de couleur à la surface, et, si on a la patience de suivre cette expérience, on lui verra perdre insensiblement et par degré sa dureté, sa transparence et ses autres caractères spécifiques, et approcher de plus en plus chaque jour de la nature de l’argile.

Ce qui arrive au caillou arrive au sable ; chaque grain de sable peut être considéré comme un petit caillou, et chaque caillou comme un amas de grains de sable extrêmement fins et exactement engrenés. L’exemple du premier degré de décomposition du sable se trouve dans cette poudre brillante, mais opaque, mica, dont nous venons de parler, et dont l’argile et l’ardoise sont toujours parsemées ; les cailloux entièrement transparents, les quartz, produisent en se décomposant des talcs gras et doux au toucher, aussi pétrissables et ductiles que la glaise, et vitrifiables comme elle, tels que ceux de Venise et de Moscovie ; et il me paraît que le talc est un terme moyen entre le verre ou le caillou transparent et l’argile, au lieu que le caillou grossier et impur, en se décomposant, passe à l’argile sans intermède.

Notre verre factice éprouve aussi la même altération : il se décompose à l’air et se pourrit en quelque façon en séjournant dans les terres ; d’abord sa superficie s’irise, s’écaille, s’exfolie, et en le maniant on s’aperçoit qu’il s’en détache des paillettes brillantes ; mais, lorsque sa décomposition est plus avancée, il s’écrase entre les doigts et se réduit en poudre talqueuse très blanche et très fine ; l’art a même imité la nature pour la décomposition du verre et du caillou. Est etiam certa methodus solius aquæ communis ope silices et arenam in liquorem viscosum, eumdemque in sal viride convertendi, et hoc in oleum rubicundum, etc. Solius ignis et aquæe ope speciali experimento durissimos quosque lapides in mucorem resolvo, qui distillatus subtilem spiritum exhibet et oleum nullis laudibus prædicabile. (Voy. Becher, Phys. subter.)

Nous traiterons ces matières encore plus à fond dans notre discours sur les minéraux, et nous nous contenterons d’ajouter ici que les différentes couches qui couvrent le globe terrestre, étant encore actuellement ou de matières que nous pouvons considérer comme vitrifiées, ou de matières analogues au verre, qui en ont les propriétés les plus essentielles, et qui toutes sont vitrescibles, et que d’ailleurs comme il est évident que de la décomposition du caillou et du verre, qui se fait chaque jour sous nos yeux, il résulte une véritable terre argileuse, ce n’est donc pas une supposition précaire ou gratuite, que d’avancer, comme je l’ai fait, que les glaises, les argiles et les sables ont été formés par les scories et les écumes vitrifiées du globe terrestre, surtout lorsqu’on y joint les preuves à priori, que nous avons données pour faire voir qu’il a été dans un état de liquéfaction causée par le feu.