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nuellement à transporter des coquilles du rivage de la mer au-dessus des montagnes ; mais cela ne peut pas résoudre la question pourquoi ces coquilles sont dispersées dans tous les climats de la terre, et jusque dans l’intérieur des hautes montagnes, où elles sont posées par lits, comme elles le sont dans le fond de la mer. »

En lisant une lettre italienne sur les changements arrivés au globe terrestre, imprimée à Paris cette année (1746), je m’attendais à y trouver ce fait rapporté par La Loubère ; il s’accorde parfaitement avec les idées de l’auteur : les poissons pétrifiés ne sont, à son avis, que des poissons rares rejetés de la table des Romains, parce qu’ils n’étaient pas frais ; et à l’égard des coquilles ce sont, dit-il, les pèlerins de Syrie qui ont rapporté dans le temps des croisades celles des mers du Levant qu’on trouve actuellement pétrifiées en France, en Italie et dans les autres États de la chrétienté ; pourquoi n’a-t-il pas ajouté que ce sont les singes qui ont transporté les coquilles au sommet des hautes montagnes et dans tous les lieux où les hommes ne peuvent habiter ? Cela n’eût rien gâté et eût rendu son explication encore plus vraisemblable. Comment se peut-il que des personnes éclairées, et qui se piquent même de philosophie, aient encore des idées aussi fausses sur ce sujet ? Nous ne nous contenterons donc pas d’avoir dit qu’on trouve des coquilles pétrifiées dans presque tous les endroits de la terre où l’on a fouillé, et d’avoir rapporté les témoignages des auteurs d’histoire naturelle : comme on pourrait les soupçonner d’apercevoir, en vue de quelques systèmes, des coquilles où il n’y en a point, nous croyons devoir encore citer les voyageurs qui en ont remarqué par hasard, et dont les yeux moins exercés n’ont pu reconnaître que les coquilles entières et bien conservées ; leur témoignage sera peut-être d’une plus grande autorité auprès des gens qui ne sont pas à portée de s’assurer par eux-mêmes de la vérité des faits, et de ceux qui ne connaissent ni les coquilles ni les pétrifications, et qui, n’étant pas en état d’en faire la comparaison, pourraient douter que les pétrifications fussent en effet de vraies coquilles, et que ces coquilles se trouvassent entassées par millions dans tous les climats de la terre.

Tout le monde peut voir par ses yeux les bancs de coquilles qui sont dans les collines des environs de Paris, surtout dans les carrières de pierre, comme à la Chaussée près de Sèvres, à Issy, à Passy et ailleurs. On trouve à Villers-Cotterets une grande quantité de pierres lenticulaires ; les rochers en sont même entièrement formés, et elles y sont mêlées sans aucun ordre avec une espèce de mortier pierreux qui les tient toutes liées ensemble. À Chaumont, on trouve une si grande quantité de coquilles pétrifiées, que toutes les collines, qui ne laissent pas d’être assez élevées, ne paraissent être composées d’autre chose ; il en est de même à Courtagnon, près de Reims, où le banc de coquilles a près de quatre lieues de largeur sur plusieurs de longueur. Je cite ces endroits, parce qu’ils sont fameux, et que les coquilles y frappent les yeux de tout le monde.

À l’égard des pays étrangers, voici ce que les voyageurs ont observé.

« En Syrie, en Phénicie, la pierre vive, qui sert de base aux rochers du voisinage de Latikea, est surmontée d’une espèce de craie molle, et c’est peut-être de là que la ville a pris son nom de Promontoire-Blanc. La Nakoura, nommée anciennement Scala Tyriorum ou l’Échelle des Tyriens, est à peu près de la même nature, et l’on y trouve encore, en y creusant, quantité de toutes sortes de coraux, de coquilles. » (Voyez les Voyages de Shaw.)

« On ne trouve sur le mont Sinaï que peu de coquilles fossiles et d’autres semblables marques du déluge, à moins qu’on ne veuille mettre de ce nombre le tamarin fossile des montagnes voisines de Sinaï : peut-être que la matière première dont leurs marbres se sont formés avait une vertu corrosive et peu propre à les conserver ; mais, à Corondel, où le roc approche davantage de la nature de nos pierres de taille, je trouvai plusieurs coquilles de moules et quelques pétoncles, comme aussi un hérisson de mer